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"Lagrange et le calcul des variations : le calcul révolutionnaire du jeune mathématicien turinois"
par S. Serfaty

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En 1696, le mathématicien suisse Jean Bernoulli pose l'une des premiers problèmes qu'on appelle maintenant "variationnels", celui de trouver la forme de la "brachistochrone", c'est-à-dire de la courbe reliant deux points fixés A et B, le long de laquelle un solide tombant sous l'effet de la gravité partant de A arrive le plus vite en B. Il propose lui-même une solution, son frère Jacques Bernoulli, ainsi que Leibniz, se penchent également sur la question. C'est le grand mathématicien suisse Euler, établi à l'époque à Berlin, qui propose en 1744 la première approche générale de ce type de questions dans son ouvrage Methodus Inveniendi Lineas Curvas Maximi Minimive Proprietate Gaudentes sive Solutio Problematis Isoperimetrici Latissimo Sensu Accepti.


Joseph-Louis Lagrange (Giuseppe Lodovico Lagrangia), mathématicien turinois, n'a que 19 ans et est totalement inconnu lorsqu'il écrit au grand Euler le 12 août 1755 pour lui annoncer qu'à partir des idées d'Euler, il a trouvé une méthode révolutionnaire, beaucoup plus efficace et systématique pour attaquer le problème. Euler lui répond dès le 6 septembre pour lui témoigner son admiration pour son résultat, et décide de retarder la publication de ses propres travaux sur ce sujet afin que Lagrange puisse retirer tout le mérite de sa publication. Cela sera le mémoire de 1760. Bientôt, Euler, ébloui par le génie du jeune homme, proposera à Lagrange un poste à l'académie des sciences de Berlin.

De quoi s'agit-il ? Dans le problème posé par Jean Bernoulli, il s'agissait de déterminer la courbe qui minimise un temps de parcours. Celui-ci, comme d'autres apparemment différents : trouver le plus court chemin entre deux points sur le globe terrestre, comprendre la forme d'une lourde chaine accrochée entre deux piliers, déterminer la forme d'un pont suspendu, etc. peuvent tous s'exprimer mathématiquement de la même manière. On cherche à déterminer une courbe pour laquelle une certaine quantité est soit maximale, soit minimale. Cette quantité est une fonction de la courbe (plus précisément, cette fonction s'exprime comme une intégrale d'une quantité attachée à la courbe).

L'idée révolutionnaire de Lagrange est de traiter ce problème avec les méthodes du calcul différentiel qu'avaient créé Newton et Leibniz au siècle précédent -- méthodes qui permettent de calculer le minimum ou le maximum d'une fonction d'une variable réelle. Le nouveau calcul de Lagrange s'appelle "calcul des variations", selon la terminologie bientôt adoptée par Euler lui-même. Son point de vue a une portée considérable : Lagrange peut reformuler, dans sa monumentale Mécanique analytique, toute la mécanique newtonienne en termes du principe de moindre action grâce au calcul des variations. Ce point de vue est aujourd'hui à la base de toute la physique moderne. Aux XIXème et XXème siècles, le calcul des variations a montré son caractère indispensable pour l'optimisation, la géométrie, et l'analyse des équations aux dérivées partielles.

 

Texte : Lagrange, Joseph-Louis «Essai d’une nouvelle méthode pour déterminer les maxima et les minima des formules intégrales indéfinies ». In : Miscellanea philosophico-mathematica societatis privatae Taurinensia, tome II, Turin, 1762, pp.11-172 et Oeuvres de Lagrange, I, pp. 335-362.
disponible sur Gallica http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k2155691

Pour en savoir plus :  bibliographie

Sylvia Serfaty a fait ses études à l'Ecole normale supérieure et à l'université Paris-Sud, obtenant son doctorat à 24 ans en 1999. Elle a été chargée de recherche au CNRS, puis professeur à l'université de New-York (NYU), avant de devenir professeur à l'université Pierre-et-Marie-Curie en 2008. Elle a obtenu plusieurs prix et distinctions : prix de la Société de mathématiques européenne, invitée au Congrès international des mathématiciens en 2006, European Young Investigator en 2007. Ses travaux de recherche portent sur l'analyse des équations aux dérivées partielles, et notamment sur des applications des mathématiques à la physique. Elle a publié plus de 40 articles de recherche ainsi qu'une monographie de recherche.

 

04.04.2012 BnF, Paris BnF, Paris