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La recherche scientifique a besoin d’un plan d’urgence

Des chercheurs, des associations de jeunes chercheurs et des sociétés savantes demandent au chef de l’État, dans une tribune au « Monde », de lancer dans les plus brefs délais un véritable plan d’urgence pour la recherche scientifique.

« La crise du COVID-19 nous rappelle le caractère vital de la recherche scientifique et la nécessité d'investir massivement pour le long terme. »
Emmanuel Macron 19 Mars 2020

 

Monsieur le Président,

La pandémie actuelle montre que l'effort scientifique est essentiel pour répondre rapidement à une crise sanitaire émergente. Il l’est tout autant pour répondre aux crises environnementales, climatiques ou sociales dont les conséquences pèsent de plus en plus sur nos sociétés. Votre annonce du 19 Mars permet d’espérer qu’enfin la France va changer de cap dans sa manière de considérer la recherche scientifique. À l'heure où les gouvernements nationaux et l'Union européenne mettent en place des programmes de sauvetage de l'économie et des entreprises suite à la crise Covid19, la recherche publique de toutes disciplines, fondamentales ou appliquées, doit aussi être soutenue. En effet, la fermeture nécessaire des laboratoires de recherche (hors recherche COVID-19), bibliothèques et archives pendant la crise sanitaire, a des conséquences négatives directes sur les projets de recherche, en particulier ceux portés par les jeunes scientifiques contractuels. Or, les mesures annoncées la semaine dernière par la Ministre de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (1) ne sont pas à la mesure des besoins.

Aux problèmes qui affectent une majorité des citoyens, gestion des enfants à la maison, maladies, pénibilité psychologique, effort collectif en ce temps de crise, s’ajoutent pour les scientifiques des obstacles supplémentaires à leur travail. D’une part, seule une partie de leur activité de recherche peut être effectuée en télétravail. La tâche devient même presque impossible pour celles et ceux dont l’activité est principalement expérimentale, ou implique des missions de terrain, la consultation d’archives, d’ouvrages de bibliothèques ou l’utilisation de bases de données ou de logiciels inaccessibles depuis chez eux. D’autre part, pour les enseignants-chercheur.e.s, la nécessité de développer, adapter et assurer un enseignement universitaire à distance prend un temps conséquent qui restreint d’autant celui qu’ils peuvent consacrer à la recherche.

L’activité restera ralentie même à l’issue des deux mois de confinement total, car de nombreuses équipes seront impactées par le redémarrage très progressif des laboratoires et de leurs infrastructures. En biologie, lorsque l'on travaille sur des échantillons et des modèles animaux difficiles à obtenir, la reconstitution des stocks prendra plusieurs mois. De même, pour celles et ceux qui travaillent sur des échantillons qui ne peuvent être prélevés qu’à certaines périodes de l’année comme par exemple en écologie ou en botanique, c’est plus d’un an de recherches qui seront perdues.

Ce ralentissement du rythme des découvertes aura des conséquences particulièrement sévères pour les personnels contractuels qui sont à un stade précoce de leur carrière (doctorants, post-doctorants, ingénieurs, techniciens) et dont la durée des contrats de travail suffit à peine en temps normal pour mener à bien leur projet. Pour les personnels contractuels de la recherche, l’obtention de postes permanents ou de financements (contrats individuels ou obtenus par les équipes) assurant leur salaire, dépend des résultats d’études et d’expériences qui ne peuvent actuellement être réalisées. Monsieur le Président, ces jeunes scientifiques contractuels et leurs équipes ont besoin de votre aide pour passer ce cap difficile.

Ces quelques mois perdus auront des effets disproportionnés s’ils ne sont pas compensés par une prolongation et un refinancement systématique des contrats. Contrairement aux entreprises privées, les laboratoires publics sont dans l’impossibilité de déclarer leurs personnels contractuels en chômage partiel pendant l’arrêt des laboratoires. Ainsi, l’argent des contrats de travail obtenus sur les appels d’offres compétitifs des écoles doctorales ou des agences de financement continue à être dépensé, malgré les conditions de travail très dégradées de leurs personnels. Ce sont plusieurs centaines de millions d’euros qui sont ainsi perdus pour la recherche publique, alors que celle-ci manque déjà cruellement de financements.

Après un long silence et suite aux demandes de nombreux scientifiques, sociétés savantes (2) ou syndicats, la Ministre de tutelle a annoncé jeudi 23 avril qu’elle autorisait les établissements à prolonger les contrats des personnels. Ces prolongations semblent devoir être décidées au cas par cas. Leur financement par le ministère reste incertain et pourrait même hypothéquer le financement de futurs contrats doctoraux ou post-doctoraux. Une prolongation automatique de tous les contrats à durée déterminée pendant au moins 3 mois est nécessaire, des prolongations plus longues pouvant être décidées dans certaines disciplines. Les annonces de la Ministre restent très en deçà de ces besoins réels. Elles reflètent sans doute que le Ministère de l’Enseignement Supérieur de la Recherche et de l’Innovation n’a pas actuellement les moyens financiers suffisants pour soutenir ses laboratoires face à la crise.

La recherche publique en France représente environ 0.7% du PIB. Pour reconnaître son importance, il faut donc lui accorder une part correspondante du correctif budgétaire de 110 Milliards d’euros voté par le parlement pour financer les mesures d’urgence pour la crise actuelle. Cet effort, minime, est nécessaire pour aider et redonner une perspective à toute une génération de jeunes scientifiques, celles et ceux qui nous aideront demain à éviter ou faire face aux prochaines crises. Monsieur le Président, vous nous assurez avoir compris l’importance de la recherche scientifique pour la société française. Nous vous demandons urgemment de concrétiser vos paroles par des actes forts.

(1) https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/cid151378/epidemie-de-covid-19-prolongation-des-theses-contrats-doctoraux-et-post-doctoraux-impactes-par-la-crise-sanitaire.html;

(2) https://societes-savantes.fr/wp-content/uploads/2020/04/Recommandations-personnels_contrats-ESR-Covid19.pdf

 

Signer la pétition

La tribune publiée sur le site du Monde (28/04/20)

 

 

Les premiers signataires sont un collectif de sociétés savantes, de chercheur.e.s titulaires et d’associations de doctorant.e.s et docteurs

Sociétés savantes : Sébastien Barot, Vice président, Société Française d'Ecologie et d'Evolution ; Luc Buée, Président, Société des Neurosciences ; René Clarisse, Président, Société Française de Psychologie ; Franck Collard, Président, Association des Professeurs d'Histoire et de Géographie ; Hervé Cottin, Président, Société Française d’Exobiologie ; Muriel Darmon, Présidente, Association Française de Sociologie ; Elisabeth Dodinet, Présidente, Société Botanique de France ; Nadine Halberstadt, Présidente, association Femmes et Sciences ; Dominique Helmlinger, Membre du comité d'administration, Société Française de Génétique ; Dominique Herbet, Présidente, Association des Germanistes de l'Enseignement Supérieur ; Fabrice Herpin, Président, Société Française d'Astronomie et d'Astrophysique ; Thierry Horsin, Président, Société de Mathématiques Appliquées et Industrielles ; Gildas Loirand, Président, Société de Sociologie du Sport de Langue Française ; Dominique Legrand, Président, Société Française de Biochimie et Biologie Moléculaire ; Patrick Lemaire, Président, Société Française de Biologie du développement ; Daniel Le Berre, président de SPECIF Campus, membre du Conseil des Associations de la SIF ; Pierre Lurbe, Président, Société d'études anglo-américaines des XVIIe et XVIIIe siècles ; Florence Jany-Catrice, Présidente, Association Française d’Economie Politique ; Jean-Michel Marin, Président, Société Française de Statistique ; Rémi Mounier, Vice-Président, Société Française de Myologie ; Mickael Naassila, Président, Société Française d'Alcoologie ; Arnauld Pierre, Président, Association des Professeurs d'Archéologie et d'Histoire de l'Art des Universités ; Stéphane Seuret, Président, Société Mathématique de France ; Morgane Thomas-Chollier, Présidente, Société Française de Bioinformatique ; Noël Tordo, Président, Société Française de Virologie ; Dominique Valérian, Président, Société des Historiens Médiévistes de l'Enseignement Supérieur Public ; Catherine Vénien-Bryan, Présidente, Société Française des Microscopies

Associations de doctorant.e.s et docteurs : Clément Courvoisier, Président de l’ANDES, association nationale des docteurs ; Jean-Baptiste Dupin, Président de YouR PSL, Université Paris Sciences et Lettres ; Kim Gauthier, Présidente, Confédération des Jeunes Chercheurs ; Guillem Mas Fiol, Président de StaPa, institut Pasteur ; Adèle Peugeot, Présidente, association Chadocs des jeunes chercheurs du Collège de France ; Le bureau de l’Association Nationale des Candidat.e.s aux Métiers de la Science Politique.

Chercheur.e.s titulaires : Jean-Louis Bessereau, PUPH UCBL, responsable d’équipe à l’institut Neuromyogène, Lyon ; Jean-Baptiste Boulé, CNRS, Directeur de l’unité Structure et Instabilité des Génomes, Museum National d’Histoire Naturelle, Paris ; Isabelle Brunet, CNRS, responsable d’équipe au Collège de France ; Rosa Cossart, CNRS, directrice de l’INMED, Marseille ; Stéphane Dieudonné, INSERM, responsable d’équipe à l’Institut de Biologie de l’ENS, Paris ; Julia Fuchs, INSERM, responsable d’équipe au Collège de France ; Stéphane Germain, INSERM, responsable d’équipe au Collège de France ; Philippe Isope, CNRS, responsable d’équipe à l’INCI, Strasbourg ; Valérie Lallemand-Breitenbach, INSERM, responsable d’équipe au Collège de France ; Amaury Lambert, Sorbonne Université, responsable d’équipe au Collège de France ; Marie Manceau, CNRS, responsable d’équipe au Collège de France ; Sébastien Mongrand, CNRS, responsable d’équipe au Laboratoire de Biogenèse Membranaire, Bordeaux ; Nathalie Rouach, INSERM, responsable d’équipe au Collège de France ; Frédéric Saudou, PU-PH Univ Grenoble Alpes, Directeur de l’institut des neurosciences de Grenoble; Fekrije Selimi, CNRS, responsable d’équipe au Collège de France ; Sophie Vriz, Université de Paris, responsable d’équipe au Collège de France ; Michaël Zugaro, CNRS, responsable d’équipe au Collège de France.

 

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Publiée le 29.04.2020