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Mathématiques & covid-19 : témoignage d'Amandine Véber

Amandine Véber est directrice de recherche au CNRS et enseignante en Mathématiques Appliquées à l’École polytechnique. Elle travaille sur des processus aléatoires liés à des modèles de populations et de transmission. Elle nous explique sa réponse de mathématicienne face à la crise sanitaire.

Avant la crise/en temps normal, vous travailliez sur quoi et avec qui ?

Depuis peu je suis membre du laboratoire de mathématiques MAP5 de l’Université de Paris, après 10 années passées au Centre de Mathématiques Appliquées de l'Ecole polytechnique. Je travaille principalement sur la construction et l'étude de modèles stochastiques pour la compréhension de systèmes biologiques (génétique des populations, croissance de champignons filamenteux, populations de polymères d'actine dans le cortex cellulaire... ).

Pourquoi et comment vous êtes-vous mobilisée lors de cette crise sanitaire ? Y a-t-il une composante collective ?

À sa création en mars 2020, j'ai rejoint l'équipe de coordination de la plateforme MODCOV19. Initialement lancée par l'Insmi, cette plateforme regroupe et essaie de coordonner les actions de modélisation autour de Covid-19 et de la gestion de la crise sanitaire émanant de chercheuses et chercheurs d'instituts et disciplines très variées. L'équipe de coordination est également pluridisciplinaire et j'ai le plaisir de travailler avec des mathématicien.ne.s, biologistes, bio-informaticienne, chercheuse en sciences sociales, médecin PU-PH et ingénieure de recherche du GRICAD. Pourquoi ? Parce que je souhaitais aider la communauté de modélisation à mettre en avant le meilleur de ce qu'elle pouvait donner, notamment en favorisant les collaborations multidisciplinaires et en entretenant un certain “esprit d’équipe” face à la crise sanitaire.

Avez-vous changé votre façon de travailler ? Du point de vue des maths employées ? Du point de vue pratique et de l'organisation ? Du point de vue des collaborations peut-être inattendues ?

Le travail que j'assure dans la plateforme est assez proche de mon travail habituel d'expertise scientifique. Il faut se tenir informé et comprendre les projets en cours d'autres collègues, les mettre en perspective les uns avec les autres en lien avec des questions que les comités scientifiques en charge de la gestion de la crise sanitaire peuvent poser, imaginer et anticiper des besoins en modélisation qui pourraient arriver dans les semaines à venir afin de motiver ou suivre des projets qui pourraient répondre au bon moment à ces attentes, ... La coordination passe aussi par un travail de bibliographie qu'assure une partie de l'équipe et par l'organisation de rencontres pour que les membres de la plateforme puissent échanger. C'est un énorme travail, qui n'apporte qu'une microscopique pierre à l'édifice mais n'en reste pas moins vraiment passionnant !

J'imagine que c'est une collaboration étroite avec des médecins, des biologistes et en  général des non-matheux et peut-être aussi des non-chercheurs: cliniciens, décideurs.... Comment ça se passe ?

Ce travail d’équipe est très stimulant, chaque membre de la coordination apporte son point de vue et ses connaissances et en discutant avec eux j'apprends énormément ! J'ai déjà une très bonne expérience de l'interdisciplinarité grâce à mes collaborations régulières avec des collègues biologistes et mon implication dans la chaire "Modélisation Mathématique et Biodiversité", mais on n'a jamais fini de tisser des liens et d'apprendre à avancer ensemble.

De votre point de vue quelle est/quelle pourrait être, maintenant ou à plus long terme, votre contribution (individuelle ou collective) ?

Je compte continuer à participer à l'initiative MODCOV19 aussi longtemps qu'elle sera utile. À vrai dire rien n'a vraiment changé pour mon activité de recherche, si ce n'est le temps que je consacre à la coordination de la plateforme.

Un message à faire passer aux collègues matheux ? au-delà ?

Les besoins en modélisation et outils mathématiques-informatiques sont nombreux et ne concernent pas que le suivi de l'épidémie en elle-même. La théorie des jeux, la théorie du contrôle ou la modélisation par agents peuvent permettre d'intégrer des indicateurs de santé "non-Covid" (déficit des soins aux maladies hors-Covid et conséquences, souffrance psychologique, violences intra-familiales...) ou des indicateurs économiques dans les modèles épidémiologiques servant à éclairer la prise de décision. Les services de santé font face à de nombreux problèmes de reprogrammation et réorganisation des soins dans un contexte où les capacités des structures médicales sont diminuées par toutes les nouvelles précautions à prendre ; les outils de recherche opérationnelle pourraient être d'une grande aide pour apporter une solution à ces défis actuels. La communauté scientifique a le potentiel de faire émerger des outils nouveaux et utiles, toutes les contributions sont les bienvenues !

 

 

 

 

Amandine Veber

est directrice de recherche au CNRS et enseignante en Mathématiques Appliquées à l’École polytechnique. Elle travaille sur des processus aléatoires liés à des modèles de populations et de transmission. Elle nous explique sa réponse de mathématicienne face à la crise sanitaire.

 

Interview réalisée le 13 juin 2020 par Jérôme Buzzi.

Publiée le 11.10.2020