Pour l'égalité femme-homme en mathématiques
Les mathématiques restent en France une discipline très peu féminisée. Malgré la conscience des biais existants, à tous les niveaux de la carrière, la proportion de femmes mathématiciennes n'a pratiquement pas progressé sur les trente dernières années. La mission de l'IGF-IGESR "filles et mathématiques" (1) soulève un problème général de sous-féminisation en sciences (hors SVT) mais montre "un réel phénomène d'éviction" en mathématiques fondamentales.
Pourtant, l'égalité de traitement effective entre les hommes et les femmes dans la communauté mathématique française est nécessaire à plus d’un titre :
- Objectif démocratique d'égalité :
L’égalité, en particulier des femmes et des hommes est un droit fondamental et constitue une valeur capitale pour la démocratie (2). Ce droit ne doit pas être seulement reconnu légalement mais encore être effectivement exercé. L'égalité réelle offre à tous et toutes un même éventail de possibles.
- Objectif de légalité et de justice :
La loi condamne les violences sexistes et sexuelles et les discriminations. De telles violences et du sexisme quotidien subsistent pourtant dans la communauté mathématique. Assurer à chacune et chacun un environnement de travail sécurisé et apaisé doit être une priorité. Cela passe notamment par l'égalité réelle en termes de représentation, de salaire et de pouvoir décisionnaire.
- Objectif scientifique :
Des études montrent que la mixité est importante pour la qualité de la recherche (3) et (4). Elle ouvre l’accès à un vivier de recrutement plus grand et permet ainsi de ne pas se priver d’une part importante des compétences. Elle favorise aussi originalité et efficacité en enrichissant les points de vue et en soutenant la dynamique de la recherche.
Enfin, une plus grande présence des femmes en mathématiques améliorerait l’attractivité et l'image des mathématiques dans la société, en particulier auprès des écolières, collégiennes, lycéennes ou étudiantes, favorisant à l'avenir une plus grande féminisation du milieu.
La Société Mathématique de France soutient ces objectifs en faveur de l'égalité femme-homme dans la sphère mathématique. Elle souhaite faire reculer les barrières à la progression de carrière des étudiantes, enseignantes et chercheuses et contribuer à instaurer de bonnes pratiques parmi tous les acteurs de la communauté afin de construire un environnement épanouissant et stimulant.
Ce texte est composé de quatre parties :
- L’égalité au quotidien
- L’égalité de carrière
- L’égalité dans les colloques et l'édition
- Ressources
1. L’égalité au quotidien
La communauté mathématique, aussi bien au niveau institutionnel qu’individuel, est invitée à instaurer des conditions d'études et de travail permettant à tous ses membres de donner leur pleine mesure.
Cet objectif concerne aussi bien les hommes que les femmes. Afin d'atténuer les déséquilibres actuels et d'améliorer la visibilité des femmes, la SMF préconise des initiatives en faveur de la parité. Leur liste n’est pas limitative.
La lutte contre le sexisme et les discriminations est l'affaire de tous et toutes.
L'institution doit organiser cette lutte et permettre à chacune et chacun d'y contribuer. Elle documente et sanctionne les discriminations et violences, en particulier sexistes et sexuelles. Elle a aussi à charge de :
- mettre en place des «comités parité» ou leur équivalent ;
- sensibiliser les comités de sélection aux biais de genre existant à toutes les étapes des recrutements (voir la partie 2 du présent document) et à la nécessité de recruter davantage de femmes ;
- proposer des formations de lutte contre le sexisme et les violences sexistes et sexuelles ;
- favoriser la participation des étudiants et étudiantes, doctorants et doctorantes aux formations existantes (journées Filles & maths, Forum des jeunes mathématiciennes, stages Math C pour L) (5) et (6) ;
- former les personnels enseignants et de la recherche en mathématiques aux questions et enjeux de parité.
Les individus sont invités à s'impliquer dans ces activités et formations, et à combattre le sexisme quotidien (propos, plaisanteries, comportements...) en y réagissant.
Plus de 8 femmes scientifiques françaises sur 10 affirment avoir été victime de sexisme dans leur carrière universitaire ou de recherche et 70% des victimes déclarent que cela a affecté leur travail (7). 1 femme sur 3 déclare avoir été victime de harcèlement sexuel. Les jeunes femmes, surtout les doctorantes, sont particulièrement touchées (8).
Par ailleurs, l'amélioration des conditions de travail des femmes implique de :
- favoriser un environnement de travail agréable, serein et respectueux pour toutes et tous ;
- identifier les rapports de domination dans les relations au travail, et rendre ces relations plus égalitaires en partageant les pouvoirs décisionnaires ;
- veiller à la visibilité des femmes en interne et en externe, de la licence au doctorat, s'assurer que les bibliothèques et centres de documentations disposent de ressources suffisantes dans cet objectif ;
- mettre au féminin les fonctions dans la communication interne et externe (documents officiels, comptes-rendus, annonces de séminaires), adopter des formulations épicènes ou paritaires (9) ;
- adapter les emplois du temps (éviter les réunions qui débordent sur la fin de journée pour permettre une conciliation des vies professionnelle et personnelle).
2. L’égalité de carrière
La carrière des femmes ne doit être entravée ni par leur vie personnelle ni par une distribution genrée des rôles au sein du laboratoire.
L'institution doit notamment mettre en place des mesures pour accompagner les enseignantes-chercheuses en retour de congé de maternité (soutien pour déplacements ou invitations de collègue, aide pour demande de congé ou de délégation, service d'enseignement adapté) (10).
Par ailleurs, les femmes ne doivent pas être sursollicitées pour des tâches chronophages peu reconnues. Il faut certes instaurer une plus grande reconnaissance de toutes les missions professionnelles, mais les femmes doivent aussi pouvoir faire le choix de se consacrer à leur activité de recherche, par exemple en passant l'Habilitation à Diriger des Recherches.
Les stéréotypes de genre, conscients ou inconscients, nuisent aux processus de recrutement et de progression de carrière en entravant la bonne évaluation des mérites des candidates et candidats. L'étude de la mission de l'IGF-IGESR montre que les mécanismes d'exclusion perdurent depuis le recrutement et dans la progression de carrière (11). La mise en place de processus plus vertueux permettrait une évaluation plus pertinente et plus juste.
Au sein d’une unité, les instances compétentes (conseils scientifiques, direction) sont invitées à :
- formaliser des critères d'évaluation comme de recrutement intégrant de manière équilibrée les divers aspects du métier et non les seuls liés à l'activité de recherche ;
- publier des profils de poste larges afin d'attirer un vivier mixte de candidatures qui permette d'augmenter la parité ;
- sensibiliser les membres des comités de sélection ou d'évaluation aux divers biais liés au genre qui affectent l’analyse des dossiers, l’écriture de lettres de recommandation, les discussions entre membres des comités ;
- nommer une personne référente parité (voire deux, idéalement homme et femme) dans chaque comité de sélection et d'évaluation.
Les membres du comité auront à cœur d’appliquer les recommandations suivantes :
- veiller à la diversité des candidatures et des personnes sélectionnées ;
- respecter les critères définis et rendus publics ;
- prendre en compte les interruptions de carrière liées en particulier à la parentalité. La durée de carrière est un indicateur plus juste que le simple critère d’âge ;
- prendre en compte l’implication dans les divers aspects du métier, sans négliger les volets d'enseignement et de tâches administratives ;
- veiller à ce que les discussions du comité se déroulent dans une atmosphère sereine, où l'avis de chaque membre, homme ou femme, jeune ou expérimenté, de stature scientifique plus ou moins grande, de caractère plus ou moins affirmé soit considéré avec attention et équitablement, par exemple en effectuant régulièrement des tours de table ;
- écarter les arguments subjectifs basés sur du ressenti ou des interprétations.
Chacune et chacun peut se sensibiliser aux biais de genre, en visionnant par exemple un film sur le sujet (12), (13) et (14).
3. L’égalité dans les événements scientifiques et l’édition
La SMF est directement concernée par cet aspect, en tant qu’organisatrice ou soutien d'événements scientifiques et par son activité d’édition. Elle énonce les règles suivantes.
A. Conférences et séminaires
La SMF est attentive à la diversité des profils. Elle réserve notamment son marrainage aux événements donnant une place suffisante aux femmes dans le comité scientifique et parmi les orateurs et oratrices et les participants et participantes.
La SMF attire l’attention des comités d'organisation d’événements scientifiques sur le fait que cet aspect doit être pris en compte au tout début de leur projet, pour plusieurs raisons :
- compte tenu des contraintes professionnelles et extra-professionnelles des oratrices invitées, il est important de les contacter longtemps à l’avance pour s’assurer de leur participation ;
- il faut pouvoir solliciter d’autres oratrices en cas de refus ;
- se préoccuper trop tardivement de la présence des femmes parmi les orateurs et oratrices fait courir un risque important de devoir solliciter des oratrices apparaissant comme hors-sujet.
Le comité d'organisation doit aussi s'engager à instaurer un climat accueillant, serein et respectueux pour toutes et tous (15). Il doit en particulier adopter une charte contre les discriminations dont un modèle est proposé par la SMF (16). Les conférences sont trop souvent le lieu de violences sexistes et cela doit cesser.
Par ailleurs, si la question des modes de garde des enfants n'est que peu abordée dans les conférences et séminaires organisées en France, comparativement à d'autres pays, la SMF encourage les comités d'organisation à réfléchir à des solutions permettant de concilier vie familiale et participation à ces événements.
B. Comités de rédaction
La Société Mathématique de France est attentive à la présence et la visibilité des mathématiciennes dans les comités de rédaction de ses différentes publications. Le conseil d’administration et le conseil scientifique de la SMF veillent à ce que ce soit bien le cas (17).
(1) Rapport de l'IGF-IGESR 2025 "Filles et mathématiques : lutter contre les stéréotypes, ouvrir le champ des possibles", Annexe 2, partie 4
(2) Site ministériel égalité femmes/hommes
(3) Film Draw Me Why : Une science faite par les hommes... pour les hommes ?
(4) Rapport de l'IGESR et de l'IGF 2025 sur les filles et les maths, paragraphe 2.1
(6) Math C pour L
(7) Enquête de la fondation Loréal 2023
(8) Observatoire des violences sexistes et sexuelles dans l'enseignement supérieur et la recherche
(9) Guide pour une communication publique sans stéréotype de genres
(10) Attribution d’un CRCT au retour de congé de maternité ou congé parental
(12) La lettre ouverte de 2024 sur les comités de sélection, soutenue par la SMF, contient de nombreuses références vers des travaux de recherche sur les biais de recrutement
voir aussi les ressources sur les biais dans les recrutements
(13) Vidéo "Les biais implicites à l’œuvre", par Sorbonne Université
(14) Vidéo "Les biais de genre lors du recrutement dans les institutions de recherche" par Instituciò Cerca : Centres de Recerca de Catalunya
(15) Organiser un congrès qui lutte contre les violences sexistes et sexuelles, retour de l’association française de sociologie
En plus des ressources spécifiques auxquelles il a été précédemment fait référence, de nombreux comités, réseaux, associations peuvent fournir aide et conseil pour mettre en place des mesures en faveur de la parité. Pour tout conseil, la personne chargée de mission parité de la SMF peut être contactée à l’adresse smf@smf.emath.fr. Nous donnons ici quelques adresses pour aider la lectrice et le lecteur. La liste est loin d'être exhaustive mais de nombreuses autres ressources sont accessibles depuis les sites cités.
*Site ministériel enseignement sup. et recherche, Égalité prof. et diversité
*Conférence permanente des chargé.e.s de mission égalité et diversité
*Mission pour la place des femmes au CNRS
*Site parité-égalité en recherche mathématique de l'INSMI
*Site de l'égalité à l'université de Lausanne
*Missions universitaires : les universités ont mis en place des missions «Parité» ou « Égalité » ou « Égalité, diversité, inclusion »... desquelles on peut se rapprocher.
