Projets de programmes : faire des maths sans raisonner
Avis de la commission enseignement de la SMF concernant
les projets de programme de cycle 1 et 2 pour les mathématiques.
Synthèse générale
Suite aux annonces du ministre de l’Éducation nationale concluant la mission « Exigence des savoirs » le 5 décembre 2023, le Conseil Supérieur des Programmes a été saisi début janvier 2024 d’une demande de refonte de tous les programmes de mathématiques. Il a publié le 8 avril les projets pour les classes de maternelle jusqu’au CE2 destinés à être appliqués dès septembre 2024. La commission enseignement de la SMF présente l’analyse qu’elle en a faite à la demande de la DGESCO du 15 avril dernier.
Dans l’ensemble, faute d’un pilotage et d’une temporalité adaptés, sans disposer d’analyse des programmes existants et des conditions actuelles de leur mise en œuvre, il paraît peu probable que ces projets permettent l’amélioration des apprentissages pour les générations futures.
La vision utilitariste et rigide portée par les contenus de mathématiques représente une perte d’ambition concernant la capacité d’autonomie et de raisonnement de l’élève, contraire à la vision que nous avons de notre discipline. Réduire dans les programmes le rôle de l’élève à celui d’exécutant de procédures sans réflexion ni liberté de choix s’oppose à la nécessaire formation à l’esprit critique. Favoriser les techniques en négligeant l’accès à leurs sens et le raisonnement logique nuit à l’accès de tous et toutes aux savoirs mathématiques, sans pour autant garantir une meilleure efficacité dans la maîtrise des techniques.
Alors que les mathématiques constituent en France une discipline déjà particulièrement socialement discriminante, notre analyse met en évidence des projets de programme risquant d’aggraver les inégalités sociales. Sous couvert d’expliciter des procédures, on masque de nombreux implicites tant sur les propriétés que sur les concepts essentiels qui permettent de donner du sens aux mathématiques et de les rendre ludiques et intéressantes. En pensant ainsi simplifier l’accès aux mathématiques, en confondant concret et ancrage dans la réalité des élèves, on conduit au contraire à les déconnecter de leur lien avec les quantités et le réel. Elles sont réduites à une série de techniques manipulatoires ou symboliques qu’il convient de savoir reproduire et exécuter. Enfin, la question se pose de l’accompagnement nécessaire par la formation continue des enseignants, absente de la réflexion générale, et du but recherché d’un projet proposant un si grand nombre d’activités « clé en main », donnant l’illusion de pouvoir être utilisées sans recul et sans formation préalable.
Faute de pouvoir s’appuyer sur des évaluations précises et documentées scientifiquement, on fait perdurer -voire légitime- des mauvaises pratiques à défaut d’avoir été capable d’en identifier les sources. Peut-être serait-il temps de s’interroger, ensemble, sur ce que sont les « nécessaires changements de méthodes », ou les « bonnes » ou « mauvaises méthodes » d’enseignement des mathématiques si souvent stigmatisées dans les médias.
Mélanie Guenais, vice-présidente de la SMF