Avis de la SMF sur les programmes de cycle 3
Les maths désincarnées d’un programme encyclopédique
Dans la poursuite du « choc des savoirs », le Conseil Supérieur des Programmes a publié le 13 janvier 2025 le projet de refonte du programme de mathématiques pour les classes de CM1 à la 6e destiné à être appliqué en septembre 2025. La SMF présente son analyse.
Les programmes présentés, au delà d'une présentation que la longueur rend confuse et décou-sue, renvoient une vision encyclopédique de contenus de mathématiques sans liens, dont les attendus se limitent à des tâches de mémorisation et d’exécution prescrites par des injonctions rigides. L'ensemble conduit à une perte de sens des notions apprises, sans contextualisation ni lien établi avec les autres disciplines scolaires, désincarnées du monde réel. La réduction du rôle de l’élève à celui d’exécutant de procédures sans réflexion ni liberté de choix constitue une perte d’ambition concernant ses capacités d’autonomie et de raisonnement au profit d'une accumulation de faits ou vocabulaire appris par cœur. Les évaluations, focalisées sur la vitesse de restitution de faits mémorisés en temps limité, donnent l’image d’une discipline réduite à la recherche de performance sur des automatismes de calculs qui encourage la compétition au détriment de la coopération et de la réflexion. Mettre des objectifs quantifiés en termes de vitesse comme critères de réussite est de nature à dégrader le rapport des élèves à la discipline, en favorisant les discriminations liées au genre, l'anxiété ou le désintérêt.
En tant que mathématiciennes et mathématiciens, nous ne pouvons souscrire à cette vision étriquée, simpliste et déformée de notre discipline dont les valeurs reposent sur son utilité pratique, mais dont la maîtrise suppose aussi l’accès au raisonnement, à l'exploration et la découverte pour aider à la compréhension du monde qui nous entoure. Ces valeurs peuvent - et doivent - être rendues accessibles à tous et toutes.
Si certaines des faiblesses identifiées ne sont pas spécifiques à ce nouveau projet, elles constituent autant de pistes d’explications possibles aux difficultés rencontrées actuellement. Alors que les mathématiques constituent en France une discipline déjà particulièrement discriminante, notre analyse met en évidence un projet de programme risquant d’aggraver les inégalités sociales ou de genre. Faute de pouvoir s’appuyer sur des évaluations précises et documentées scientifiquement, on fait perdurer - voire légitime - des mauvaises pratiques à défaut d’avoir été capable d’en identifier les sources. Toute l’énergie dépensée pour un travail fondé sur l’observation des effets plutôt que sur les causes, même avec un objectif sincère, sera perdue.
Peut-être serait-il temps de s’interroger, ensemble, sur ce que sont les « nécessaires changements de méthodes », ou les « bonnes » ou « mauvaises méthodes » d’enseignement des mathématiques si souvent stigmatisées dans les médias.
Mélanie Guenais, vice-présidente de la SMF