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Appel à évaluer l'impact de la pandémie sur la carrière des jeunes chercheurs en Europe

par Jean-Pierre Bourguignon

La crise sanitaire a "affecté de plein fouet les jeunes chercheurs et chercheuses à un moment critique pour leur développement", souligne l'ancien président de l'ERC Jean-Pierre BOURGUIGNON, professeur honoraire à l'Institut des Hautes Études Scientifiques (IHES), dans une tribune à AEF info. Face à la crainte du " saccage d'une génération ", il lance " un appel pressant " pour que la présidence française de l'Union européenne se saisisse d'une conférence permettant de dresser deux premiers bilans : l'un sur l'impact de la pandémie sur la carrière des jeunes chercheurs travaillant en Europe, l'autre sur les moyens permettant d'y remédier.

La pandémie a altéré de façon profonde le fonctionnement de beaucoup de secteurs de la société, et l’enseignement supérieur et la recherche n’ont pas échappé à cette remise en cause majeure des modalités de travail. Mais cette crise a affecté de plein fouet les jeunes chercheurs et chercheuses à un moment critique pour leur développement, et encore plus ceux qui avaient une famille à charge. Ont été tout particulièrement touchés ceux et celles qui mènent un travail expérimental ou de terrain car celui-ci a souvent été gravement perturbé, sinon rendu impossible.

D’abord il est bien établi qu’une thèse de doctorat se nourrit de façon essentielle d’échanges intenses, tant avec les personnes assurant l’encadrement qu’avec les autres collègues. Ensuite le parcours post-doctoral se déroule presque toujours sous le signe de la mobilité. La pandémie a retardé, voire annulé, bien des procédures de recrutement. Elle a aussi limité considérablement les possibilités de déplacement, le travail à distance réduisant drastiquement les interactions scientifiques essentielles dans un nouvel environnement, une des vertus cardinales d’une telle période.

De plus la durée du soutien disponible dans ces moments décisifs pour s’engager dans la recherche est souvent strictement limitée. Certes, dans certains cas, devant la crise, des extensions pour les subsides ont pu être mises en place, mais c’est loin d’être la généralité, d’où pour beaucoup une situation très angoissante et frustrante. Répondant à une enquête menée par la Commission européenne auprès des lauréats et lauréates des bourses Marie Skłodowska-Curie, 83 % déclarent que la pandémie a eu un effet négatif ou très négatif sur le déroulement de leur projet.

La crise a brisé des carrières naissantes et détruit des motivations. C'est le saccage d’une génération que nous devons craindre, et il est crucial de pouvoir prendre à temps des mesures pour le prévenir. Il y a urgence ! Dès lors, il est impératif de recueillir dans les meilleurs délais une information aussi précise que possible sur l’étendue du problème avant qu’un décrochage aux effets irréversibles soit constaté.

Suffisamment de temps s’est écoulé depuis l’apparition de la pandémie pour qu’un premier bilan soit fait au printemps prochain surtout que, malheureusement, le retour à un fonctionnement normal ne peut être garanti pour demain, malgré l’impact décisif des vaccins et des gestes barrières.

C’est pourquoi je forme un appel pressant pour que, pendant la présidence française de l’Union européenne, une conférence soit organisée avec l’ambition de présenter un premier bilan de l’impact de la pandémie et des moyens de nature à remédier à ses effets négatifs sur la carrière des jeunes chercheuses et chercheurs travaillant en Europe.

Il s’agit à la fois de faire un recensement des effets déjà visibles, des bonnes pratiques mises en place à certains endroits, d’anticiper les effets à plus long terme et d’explorer les actions possibles pour redonner confiance à celles et ceux qui l’ont peut-être perdue. Nous le devons non seulement à la nouvelle génération, mais aussi à la société européenne tout entière qui ne peut se passer de leur apport pour relever les nombreux défis auxquels elle doit faire face.

Tribune parue dans AEF Info le 05/11/2021

Publiée le 08.11.2021