SMF

Réflexions sur le rapport "Égalité filles garçons" de l'Inspection Générale

Texte d'analyse de Magdalena Kobylanski, membre de la commission enseignement de la SMF

Ce texte présente une analyse du contenu du rapport de février 2023 de l'Inspection Générale de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche consacré aux problèmes d'égalité filles-garçons aggravés par la réforme du lycée de 2019. 

 

La réforme du lycée conduite sous le premier mandat d’Emmanuel Macron a eu un impact négatif sur la formation scientifique, et particulièrement pour les filles, ainsi que l’a pointé en janvier 2022 l’article « Réforme du Lycée et Mathématiques, 25 ans de recul sur les inégalités filles/garçons » [1] signée par tout un collectif de l’ensemble des sociétés savantes et d’associations de mathématiques. Ce collectif élargi depuis à une trentaine d’associations et de structures scientifiques de l’enseignement, de la recherche et du monde économique devenu le Collectif Maths&Sciences coordonné par Mélanie Guenais, a continué de publier sur ce sujet [2]. Cette première publication ainsi que les autres, ont rencontré un écho important dans l’opinion. La baisse du vivier de cadres ayant une formation scientifique et mathématique suffisante inquiète les milieux économiques et industriels autant que les milieux académiques ou politiques [3], [3bis], [4]. Le rapport de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (IGESR) consacré à l’Égalité filles-garçons en mathématiques publié en novembre 2022 [5] et février 2023 [5bis] est sans doute une tentative de réponse institutionnelle au cri d’alerte du collectif Maths & Sciences. 

 

Dans cet article, nous commençons tout d’abord par présenter le rapport [5], puis nous mettrons en perspective les propositions de ce rapport au regard d’autres travaux de recherche. Enfin, nous proposons quelques autres pistes. 

 

 

1.     Résumé du rapport

Après une introduction qui relève les tristes records obtenus par la France en matière d’anxiété mathématique, le rapport identifie des axes où la recherche montre qu’une action efficace est possible pour favoriser une meilleure confiance, notamment des filles, puis propose pour chaque axe des pistes et des actions les plus concrètes possibles qui pourraient permettre de faire des mathématiques vivantes et de faire grandir cette confiance dans le contexte d’une classe.

Le premier axe signale que d’après le rapport Pisa 2012, parmi tous les pays de l’OCDE étudiés, c’est en France que le niveau d’anxiété mathématique est le plus élevé, le différentiel filles-garçons est le deuxième plus élevé alors même que le niveau d’anxiété des garçons est en troisième place. Cette anxiété peut rendre difficile l’étude de la discipline, et est corrélée à une baisse d’estime de soi sur ses capacités à poursuivre des études nécessitant des mathématiques  Pour y remédier, le rapport recommande d’expliciter les objectifs d’apprentissage et les conditions de la réussite; de considérer l’erreur comme une étape de l’apprentissage et un appui pour valoriser les acquis et préciser les axes de progrès et de développer l’oral pour vérifier la compréhension de tous les élèves, interroger les démarches et élaborer des stratégies propres.

 

Le deuxième axe propose de s’appuyer sur des pratiques collaboratives dans lesquelles les filles seraient plus à l’aise. Pour une meilleure maîtrise sans angoisse, le rapport propose ainsi de favoriser les activités où l’on privilégie les buts de maîtrise aux buts de performance, de relâcher les contraintes de temps et de faire des pratiques collaboratives un cadre privilégié pour les activités mathématiques, en étant vigilant sur la composition des groupes et l’organisation des interactions.

 

Le troisième axe, le plus détaillé, est centré sur la lutte contre les stéréotypes.  Il explique d’abord en quoi consiste la Menace de Stéréotype et passe en revue quelques méthodes qui permettent de la réduire.  Quatre autres pistes sont ensuite explorées. En premier lieu, les appréciations scolaires, où pour contrer les biais dont ils peuvent être les victimes inconscientes, il est recommandé aux enseignants de veiller à appliquer des critères identiques entre les garçons et les filles. En second lieu, lors des interactions en classe, l’enseignant est engagé à partager la parole de manière équilibrée entre les filles et les garçons aussi bien en quantité qu’en qualité (ne pas réserver la restitution du cours aux filles et la construction du savoir aux garçons). Les principes recommandés visent à ne pas s’appuyer sur les seuls élèves volontaires ; à veiller à avoir les mêmes attentes relativement aux types de tâches ; à ne pas interroger les élèves trop rapidement après avoir posé une question ; à encourager et valoriser les prises de paroles argumentées ; à permettre à l’élève de reformuler sa première version. Le rapport se penche ensuite sur les énoncés des exercices et souligne l’importance de mettre en avant des contextes d’exercices ne cédant pas à au stéréotype de femmes en position subalterne. Pour finir, le rapport pointe l’importance des rôles modèles féminins. Un « rôle modèle » (traduit de l’anglais « role model ») est une ou un professionnel dont le parcours, la trajectoire, le métier exercé font d’elle ou de lui un exemple à suivre, un modèle positif. Le rôle modèle ne doit pas nécessairement être une personne primée ou célèbre. Il est plus important de présenter des profils très variés permettant à une grande diversité d’élèves de s’identifier. La recherche démontre que rencontrer des rôles modèles permet aux jeunes filles de s’autoriser à choisir des filières pour lesquelles elles s'autocensurent a priori.

 

 

2.     Discussion

Il aurait été intéressant d’utiliser des données plus récentes que celles de PISA 2012 sur les inégalités filles-garçons dans l’enseignement des mathématiques en France. 

 

Concernant le premier axe, si la motivation, le sentiment d’auto-efficacité et l’engagement sont des indicateurs importants, fortement corrélés à la réussite en mathématiques, il n’est pas toujours aisé pour un enseignant d’agir directement sur ces variables alors qu’il peut être plus aisé de mettre en place des stratégies d’activation cognitive, d’instruction dirigée et des évaluations formatives. L’instruction dirigée est l’une des pratiques pédagogiques répertoriée comme particulièrement efficace et socialement égalitaire [6]. Il aurait été utile de développer ce point. De même, insister sur l’élaboration à partir de l’erreur est louable, mais rendre cela opérationnel en classe n’est pas aisé. Il aurait été judicieux de proposer des exemples de mise en place.  Cette élaboration peut se faire lors d’évaluations diagnostiques ou formatives régulières. Celles-ci, lorsqu’elles sont bien conçues, permettent de lever de très nombreuses idées fausses avant qu’elles ne se soient ancrées, de s’assurer rapidement que toute la classe maîtrise les connaissances de base et le cas échéant de combler les lacunes. De surcroît, les élèves peuvent alors bénéficier de l’effet testing qui engendre une meilleure rétention [7]. Enfin, ces évaluations, lorsqu’elles sont menées régulièrement, permettent aux élèves de progresser et de se rendre compte de leurs propres progrès, ce qui engendre une meilleure confiance en soi. Développer l’oral est également souhaitable [8] : le climat de la classe doit être bienveillant pour permettre à tout élève de se sentir en sécurité pour poser des questions. Est-ce ce type d’interaction orale qui est recommandé par le rapport ? La prise de parole publique n’est pas facile et nécessite d’une part d’avoir un message mathématique à transmettre et d’autre part d’avoir une maîtrise suffisante du langage oral mathématique. Il est en effet fondamental que les échanges se fassent en utilisant le bon niveau de langage et puissent profiter à l’ensemble de la classe ou du groupe, sans quoi les élèves qui ne bénéficient pas de l’échange perdent leur temps. A terme, ils risquent aussi d’être démotivés. Est-ce ce niveau d’oral qui est visé par la recommandation du rapport ? S’il s’agit d’avoir des échanges mathématiques de plus haut niveau, comme interroger les démarches, expliciter les modèles utilisés par les élèves, en élaborer de nouveau, c’est là un travail souvent difficile pour un expert et certainement très coûteux cognitivement pour un apprenant novice. Y arriver n’est pas impossible, mais nécessite de bien concevoir les questions posées et de définir des routines pour les mettre en place en cours. Dans son blog associé au livre « teach like a champion » [9], Doug Lemov forme les enseignants aux questions à froid (cold call en anglais). Il s’avère que dans les classes où ces pratiques sont mises en place, les élèves sont moins anxieux pour répondre à des questions, et ce quelque soit leur milieu social ou leur genre.  Il aurait été intéressant de proposer également la pratique de l’auto-explication. Cette méthode, qui a démontré son efficacité [10], vise à inviter les élèves à inférer des relations causales ou conceptuelles. Elle est relativement facile à mettre en place, accessible aux apprenants novices autant qu’aux experts. En tout état de cause, si l’oral doit avoir une place plus importante dans la formation, il doit aussi pouvoir être évalué. A ce titre, il devrait apparaître dans les objectifs d’apprentissages et l’évaluation de l’oral devrait, elle aussi, faire l’objet de formations à l’attention des enseignants, comme à Singapour [11] et du temps devrait être alloué pour la préparation et l’organisation de ces oraux. 

 

Une question qui n’a pas du tout été soulevée dans ce rapport est l’impact de la « réforme Blanquer » du lycée. A-t-elle eu un impact positif ? A-t-elle facilité la mise en place de tout ou partie de ces recommandations ? Les objectifs d’apprentissage sont certainement mieux écrits et plus clairs pour les enseignants. Mais ces objectifs sont-ils utilisés en classe ? Si oui, sont-ils compris par les élèves ? Un accompagnement a-t-il eu lieu pour permettre aux enseignants et aux élèves de se saisir de cet outil ?  Si oui, quel impact cela a-t-il eu ? Le droit à l’erreur et la recommandation de relâcher la contrainte de temps sont-elles effectives dans les classes ? L'importance du contrôle continu pour accéder au supérieur à travers la plate-forme ParcourSup semble contradictoire avec ces recommandations. Lorsque l'accès à la formation souhaitée dépend en grande partie de la note de contrôle continu et que chaque interrogation affecte cette note, les élèves comprennent qu’en réalité les objectifs d'apprentissages affichés et le droit à l'erreur sont peut-être souhaitables mais que la performance est seule fondamentale. Cette pression ne fait que renforcer l'anxiété mathématique.  

 

Concernant le deuxième axe. Le rapport recommande de favoriser les buts des maîtrises sur les buts de performance, de relâcher la contrainte de temps et de faire des pratiques collaboratives un cadre privilégié pour les activités mathématiques, en étant vigilant sur la composition des groupes et l’organisation des interactions. 

Si les buts de maîtrise doivent être valorisés et la contrainte de temps relâchée, l’enseignant doit en avoir les moyens. La « réforme Blanquer », a enrichi les contenus du programme de mathématiques, réduit les heures de cours et laisse une place importante au contrôle continu au niveau du bac. Elle semble avoir des objectifs sinon des effets à l’opposé. L’aspect négatif des buts de performance mérite également un peu de nuance. La relation entre motivation et réussite est en fait bidirectionnelle : si la motivation favorise la réussite, la réussite est aussi source de motivation [8], [12]. De ce fait, les buts de performance ne doivent pas être écartés trop vite. Par exemple, les évaluations formatives de basse intensité déjà mentionnées, qui rendent la performance accessible, peuvent être un moyen intéressant pour améliorer la motivation des élèves. Il serait, dès lors, utile de mettre à disposition des enseignants des outils, sous forme de formation et de bases d’exercices, pour organiser efficacement ces évaluations et leurs corrections. 

 

Promouvoir la collaboration sur la résolution de problèmes comme la solution la plus efficace pour l’enseignement des maths et la plus à même de valoriser les filles mérite une discussion. Tout d’abord, des études nombreuses et concordantes montrent que la résolution de problème n’est pas une pédagogie aussi efficace que l’instruction directe, en particulier pendant la première phase d’acquisition de nouvelles connaissances [8]. Par ailleurs, la collaboration est également pavée de nombreux dangers : s’agit-il de l’élaboration commune de connaissances, de partage de connaissances entre pairs ou de partage du travail ? L’élaboration de nouvelles connaissances se heurte très souvent au problème de la charge cognitive. Les pédagogies d’instruction directe, dans lesquelles l’enseignant fournit les connaissances par étape en permettant à chaque étape une appropriation à travers des exercices pratiques et en vérifiant l'acquisition et la maîtrise progressive des nouveaux concepts, sont plus efficaces dans les premières étapes d’acquisition des connaissances. Le partage de connaissances entre pairs est également difficile. D’après [13], il ne peut se faire de manière efficace que si celui qui sait est conscient de son niveau et du niveau de celui qu’il doit instruire. Or cette prise de conscience entraîne souvent une valorisation sociale des “sachants”, valorisation qui induit une moindre envie de partager ses connaissances. Quant au partage de travail, il ouvre la porte à des stratégies de “sous-marins” aux élèves qui peuvent cacher leurs faiblesses derrières les forces d’autres personnes de leur groupe. De plus, très souvent, les élèves auront travaillé sur une partie mais n’auront pas pris le temps de faire la synthèse de l’ensemble et de la transférer dans leur mémoire à long terme. Ils n’auront donc pas acquis un véritable socle de nouvelles connaissances mais des connaissances parcellaires. Apprendre à travailler en groupe de manière à ce que toutes les personnes du groupe participent et apprennent est peut-être plus un objectif qu’un moyen. 

 

Le troisième axe du rapport, le plus développé, porte sur la lutte contre les stéréotypes. Il propose d’apprendre à connaître la Menace de Stéréotype. L’effet délétère de cette menace joue sur les capacités d’apprentissage et sur les performances des personnes victimes du stéréotype en obstruant une part de leur mémoire de travail. Des études claires et sans appel montrent la prévalence de cette menace dans les esprits des garçons comme dans celui des filles, des enseignants comme des enseignantes [14]. Isabelle Régner [15] souligne que personne n’est à l’abri : même des filles en réussite, qui se perçoivent comme très bonnes en maths et qui ont d'excellents résultats scolaires y sont soumises. Les mêmes activités proposées dans un cadre neutralisant la menace montrent des performances égales entre filles et garçons. La recherche met en évidence qu’il est en effet possible de neutraliser la menace de stéréotype en proposant la même activité comme un jeu, comme une activité relevant d’une autre discipline (le dessin et non la géométrie), en énonçant une phrase de falsification avant l’évaluation comme « dans ce test il n’y a pas de différences significatives entre les résultats des filles ou les résultats des garçons », ou encore en faisant composer les filles des garçons dans des salles séparées. Parmi les conseils prodigués dans le rapport, il est dommage que certaines méthodes efficaces pour diminuer la menace de stéréotype ne soient pas mentionnées. La mise en place de la consigne de falsification, qui consiste à préciser qu'il n'y a « aucune différence de performance entre filles et garçons » est utilisée par les chercheurs pour réduire la menace, l’écriture expressive qui consiste à coucher par écrit les émotions, est également citée en [15]. L’ordre des évaluations influe également, par exemple lors de deux évaluations successives de maths et de français, commencer par le français réduit la menace de stéréotype. Sans doute est-ce dû à l’expérience de succès dans cette matière. On peut aussi veiller à ce que les filles ne soient pas très minoritaires dans les salles d’examens. Toutes ces méthodes sont relativement simples à mettre en œuvre dans un établissement ou une classe. 

 

Les remarques du rapport concernant la qualité des énoncés des exercices sont pertinentes. Plus généralement, au-delà des stéréotypes de genre qui peuvent encore être présents dans le contexte de certains exercices et qu’il convient de faire disparaître, il est intéressant de sensibiliser les enseignants sur l’impact que peut avoir la rédaction d’un énoncé. Des énoncés redondants ou peu clairs peuvent provoquer une surcharge cognitive et empêcher l’apprentissage. Accorder une attention particulière à créer et à utiliser des énoncés d’exercices non redondants, clairs et soignés pendant le cours et les évaluations est donc fondamental. Les énoncés confus et peu clairs, sont susceptibles d’encombrer inutilement la mémoire de travail des élèves [8] et d’entraver leurs performances et donc à terme leur motivation. Améliorer cet aspect de l’enseignement n’est pourtant pas hors de portée [16]. 

 

Par ailleurs, concernant les rôles modèles, les enseignantes, en particulier les plus jeunes avec lesquelles les élèves peuvent s’identifier plus aisément, pourraient aussi remplir ce rôle. Cependant, si l’enseignante souffre d’un déficit d’image de soi, elle ne pourra investir ce rôle. Malheureusement, des études de l’OCDE montrent qu’en France l’ensemble du corps enseignant a une mauvaise image de lui-même. Ce qui vaut pour les élèves vaut aussi pour les enseignants qui ont également besoin de soutien. 

 

La spécificité du système éducatif français repose sur les grandes écoles et les concours d’entrée. Or cette sélection exacerbe la Menace de Stéréotype : les concours semblent occasionner des biais favorables aux garçons. Il pourrait être judicieux d'ouvrir à nouveau des concours spécifiquement aux jeunes filles, comme cela a été longtemps le cas pour l’Ecole Normale Supérieure de Fontenay. Cette école à été le vivier de figures de proue de la recherche et de l’enseignement en France. Depuis la fusion de l’ENS Fontenay avec l’ENS Saint-Cloud, le nombre de jeunes femmes dans ces écoles d’excellence a drastiquement chuté [17]. Il aurait pu être évoqué la question de l’instauration de quotas pour améliorer l’accès aux filles dans les formations scientifiques sélectives. De même, la mise en place de bourses spécifiques pour les études supérieures scientifiques dans les disciplines masculines pourrait constituer un levier intéressant. 

 

 

3.     Est-il possible de redresser la barre ? 

Que faut-il faire en France ? Insuffler une politique cohérente à long terme serait un début. Est-ce le cas ? En raison d’un travail régulier, la part des filles suivant la filière S a connu une lente progression entre 1995 et 2020, passant de 40% à 47,5% de la classe d'âge. Les mathématiques et les sciences, bien que très peu représentées dans le domaine politique, le sont pourtant dans la société. La communauté associative met en œuvre de très nombreuses actions pour valoriser les sciences et les parcours féminins, depuis plus de 20 ans. Malgré cela, leurs effets ne permettent pas d’infléchir les tendances qui sont aggravées par les dernières réformes.  Le premier mandat d’Emmanuel Macron a voulu s’attaquer au problème. Une lettre de mission a été confiée le 23 octobre 2017 à Cédric Villani et Charles Torossian [18bis] pour réfléchir à une amélioration opérationnelle de l’enseignement des maths autour de quatre axes : (1) identifier les meilleures pratiques à l’international, (2) le développement du calcul à l’école et au collège en lien avec la didactique et les neurosciences, (3) la définition des paliers annuels d’acquisitions  et (4) propositions pour mieux articuler les activités mathématiques associatives ou périscolaires avec celles du ministères ou les projets d’établissement.  En même temps, une autre lettre de mission était confiée à Pierre Mathiot le 10 novembre 2017 pour réformer le bac et le lycée[18ter]. La première mouture du rapport Mathiot est ainsi parue le 24 janvier 2018, alors que le rapport Torossian-Villani paraissait le 12 février 2018. Ce dernier n’a pas eu d’effets pérennes. La réforme du lycée et du bac a quant à elle eu des conséquences : disparition des maths en tant que discipline au-delà de la seconde pour 45% des filles et 25% des garçons alors que ce taux était de 17% pour les filles et 6% pour les garçons avant la réforme ; chute de la part des filles suivant une spécialité maths à 39,6% en 2021, détruisant en deux ans vingt-cinq années d’efforts [1]. 

 

Modifier le curriculum ou définir des objectifs qui donnent plus de sens à la formation ne sont pas les seuls leviers. Une des clés pour réussir est sans doute la formation initiale et continue des enseignants. Car la France, comme le rapporte le Centre National d’Etude des Systèmes Scolaires (Cnesco) fait partie des derniers pays de l’OCDE concernant la perception que les enseignants ont de leur métier. La formation continue en France reste très insuffisante. Si elle a augmenté ces dernières années, elle reste encore très inférieure à la moyenne de l’OCDE, comme le pointent les rapports du Cnesco. De plus, elle ne correspond pas aux demandes des enseignants, est souvent trop brève pour permettre des changements d’usage dans la classe et est suivie bien plus par les cadres, inspecteurs ou directeurs d’école, que par les enseignants eux-mêmes. [20]

 

Des exemples de réussite existent pourtant. Les pays asiatiques caracolent en tête de tous les classements internationaux depuis des années. Le Canada à d’excellents scores, la Suisse maintient un très bon niveau de maths. La Pologne, qui au classement PISA 2003 se trouvait en dessous de la moyenne de l’OCDE, s’est remise en cause. Elle a ainsi revu les objectifs de l’enseignement des maths pour les rendre plus en adéquation avec les besoins de notre époque. A la question de « pourquoi enseigner les maths ? » elle a fourni comme réponse : « parce que comme la littérature elle fait parti de notre culture, c’est l’un des plus beaux héritages de l’humanité » et à la question : « que faut-il enseigner ? » elle a fourni comme réponse « le raisonnement mathématique et l’argumentation, la pensée stratégique et la modélisation mathématique ». Des manuels avec une progression dynamique et des objectifs ambitieux ont été mis à disposition des enseignants. En dix ans, la Pologne est passée dans le peloton de tête de l’OCDE comme les rapports PISA 2012 et 2018 le démontrent. Cette amélioration est de plus équitablement répartie sur toutes les catégories de la population et entre garçons et filles [19], [19bis], [19ter]. 

 

A titre d’exemple, l’Australie à mis en place en quelques années l’Australian Institute for Teaching and School Leadership (AITSL) [21] créé en janvier 2010, actuellement dirigée par John Hattie. Ce chercheur en sciences de l'éducation est connu pour avoir fait de nombreuses méta-analyses sur l’efficacité des stratégies d’apprentissage [22]. Ce site gratuit ouvert sur simple inscription est plaisant et bien conçu. On y trouve, entre-autre, de multiples formations aux meilleures stratégies d'enseignement répertoriés via de petites vidéos. Celles-ci, pertinentes et agréables, permettent d’effectuer de brèves plongées dans des classes, et apportent au détour de nombreuses techniques concrètes. L’AITSL propose aussi une grille de description des compétences attendues d’un enseignant à différents stades de sa carrière selon sept dimensions regroupées en trois catégories [23]: les connaissances professionnelles, la pratique professionnelle et l’engagement professionnel. Chacune de ses dimensions étant déclinée du niveau « diplômé » en passant par le niveau « expert » et « hautement performant » jusqu’au niveau « chef de file ». Cette description permet de définir une vision large du métier d’enseignant : pédagogue de plus en plus affuté, bénéficiant d’une expertise dans sa discipline qu’il est amené à développer, capable de proposer des attentes élevées, de planifier,  d’organiser les ressources et d’en produire, de créer un environnement propice aux apprentissages,  d’évaluer les élèves et de leur apprendre à se corriger, mais aussi de s’engager dans sa formation professionnelle, le travail d’équipe et, au fur à mesure que son expertise grandi, dans l’encadrement des équipes pédagogiques. Une telle grille pourrait servir de pierre angulaire pour améliorer la perception du travail d’enseignant.

 

Le Canada a revu en profondeur la formation continue des enseignants en favorisant le développement des « communauté d’apprentissage professionnelle » (CAP). Ces dernières s’inspirent des « learning studies » qui ont vu le jour au Japon. D’abord développées en Ontario, elles ont essaimé au Québec. Ce pays et cet État en particulier se remarquent par leur excellence dans les divers classement OCDE selon de nombreuses dimensions et tout particulièrement celui de l’équité. Le développement des CAP part du principe que définir un curriculum ne permettra pas à lui seul d’améliorer l’enseignement et d’avancer vers le but d’une meilleure réussite des élèves et de plus d’équité. Les enseignants sont la clé du changement. C’est en les sortant de leur isolement de loup solitaire, en les aidant à former des communautés d’apprentissage professionnelles, que l’on avance vers ce but. Ces communautés sont plus qu’une équipe qui collabore ou qu’un cercle d’étude. La CAP qui s’accorde sur le but commun, la réussite des élèves, permet, dans la cadre d’un leadership partagé, de concourir à son accomplissement à travers un apprentissage collectif et un questionnement axé sur la réussite des élèves. Dans une école qui fonctionne comme une communauté d’apprentissage professionnelle, le personnel se tient au courant des meilleures pratiques, le partage des connaissances s’opère continuellement et se transforme en action. De plus ces actions sont observées, documentées, analysées et permettent une amélioration et un enrichissement continue de l’équipe pédagogique. [24],[25],[26].

 

Le Royaume-Uni à également mis en place de nombreux instruments pour améliorer la qualité de l’enseignement. Parmi eux on peut citer l'Education Endowment Foundation (EEF), association fondée en 2011. Son objectif est de permettre une meilleure égalité en particulier sociale. La méthode consiste à mettre à disposition des enseignants et des cadres dirigeants des écoles les résultats validés de la recherche scientifique. Et cela de la manière la plus efficace possible. Une boîte à outils qui synthétise 13000 études a ainsi été publiée dès 2012. Le résumé tient en une page où les méthodes sont présentées selon trois critères : le coût, la fiabilité scientifique et l'efficacité [27]. Depuis 2012, l’EEF a financé un total de 145 projets impliquant 9 400 écoles, crèches et collèges. Ces dernières peuvent en effet postuler pour faire partie d’un programme de recherche de leur choix ou peuvent rejoindre un programme en cours. À ce jour, 84 évaluations ont été publiées, la majorité d'entre elles étant conçues comme des essais contrôlés randomisés. L’EEF a commandé plus de 10 % de tous les essais connus dans le domaine de l'éducation dans le monde, et sous cette impulsion, le système éducatif britannique est devenu le plus grand laboratoire de recherche sur l’enseignement au monde.

 

Saurons-nous trouver un moyen d’enrayer cette chute régulière du niveau moyen de mathématiques et les rendre la culture mathématique accessible au plus grand nombre ? Saurons-nous permettre à nos enseignants de se former pour faire des classes de maths un lieu ou les garçons et les filles ne viennent pas avec l’estomac noué et sortent en ayant appris à réfléchir et avoir pris plaisir à le faire ? Saurons-nous discerner les méthodes les plus à mêmes de permettre aux filles et garçons d’apprendre les maths et de développer l’imagination et la rigueur qui viennent avec sa pratique ? Et saurons-nous ensuite faire en sorte pour que les enseignants se les approprient ? Car même si nous obtenions des garanties scientifiques de l’efficacité d’une méthode, le combat n’est pas pour autant gagné. Pour preuve on peut citer le débat qui sévit depuis de longues années entre les méthodes dites globales ou semi-globales et les méthodes syllabiques pour l’apprentissage de la lecture. Ce débat a été scientifiquement tranché par la recherche en faveur de la méthode syllabique qui non seulement permet à l’enfant d’acquérir mieux, plus rapidement la maîtrise de la lecture, transforme durablement son cerveau et lui ouvre l’accès à la représentation symbolique, mais est aussi la méthode la plus égalitaire socialement [28]-[31]. Pourtant la majorité des manuels en vente proposent encore aujourd’hui une méthode semi-globale. Les collectivités locales achètent donc massivement des ouvrages qui proposent des méthodes peu efficaces, favorisant la dysorthographies et inégalitaires socialement. 

 

On est confronté à une difficulté d’un autre ordre : alors que la solution est clairement tranchée en faveur d’une méthode et que la puissance publique est informée et dispose des moyens pour résoudre ce problème, les décisions simples ne semblent pas pouvoir être prises. Pour quelle raison ? La réponse sera certainement fournie un jour par l’intelligence artificielle mais on peut d’ores et déjà inférer, pour paraphraser Winston Churchill, que l’entité administrative centrale dénommée « Éducation Nationale » apparaîtra comme « un rébus enrobé de mystère au sein d’une énigme ».



Remerciements :  je remercie Mélanie Guenais pour ses encouragements pour écrire ce texte et sa relecture bienveillante et perspicace. 

 

Pour la commission enseignement de la SMF, Magdalena Kobylanski

 

 

 

Publiée le 05.04.2023