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"Des lois du mariage à Bourbaki"
par Michel broué

Conférence donnée dans le cadre du cycle "Un texte, un mathématicien".

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Pendant la deuxième guerre mondiale, à New York, le mathématicien André Weil et l'ethnologue Claude Lévi-Strauss, tous deux français réfugiés, se rencontrent. Deux géants de la pensée du XXème siècle.

André Weil, est un des fondateurs du groupe Bourbaki dans les années 1930; génie précoce, entré à l'Ecole normale supérieure en 1922 à l'age de 16 ans, il a soutenu sa thèse de doctorat ès-sciences à 22 ans. Il est considéré depuis les années 1930 comme un mathématicien de premier plan. Sa vision des mathématiques donne à la notion de « structure » une place centrale, conception qu'il partage naturellement avec les autres bourbakistes et dont le grand traité de Bourbaki, les Eléments de mathématiques, sera le vecteur. André Weil n'est pas seulement un grand mathématicien. Outre le latin et le grec, qu'il pratique avec talent, et plusieurs langues modernes, il a appris le sanskrit; il a suivi des cours de linguistique indo-européenne et sur la littérature et textes sacrés sanskrit à l'Ecole pratique des hautes études et au Collège de France. Ses contacts avec les linguistes l'ont mis en contact avec les idées structuralistes que ces derniers promouvaient.

Claude Lévi-Strauss n'a que deux ans de moins que Weil. Il a commencé son travail d'ethnologue de terrain au Brésil en étudiant les tribus Caduveo et Bororo, et s'intéresse lui aussi au structuralisme en linguistique au contact de Roman Jakobson, un autre exilé à New-York. Pendant ces années 1940, il travaille à sa thèse.

Leur rencontre est donc celle de deux courants de pensée : en mathématiques, la démarche formaliste incarnée par le mathématicien allemand David Hilbert; dans les sciences de la société, ce qui s'inacrne dans la démarche de Jakobson. De là naît cet Appendice dans lequel Weil montre que les règles très élaborées concernant les mariages permis et interdits dans les tribus étudiées par Lévi-Strauss, obéissent à des principes mathématiques simples qu'on peut résumer en évoquant le concept de structure de groupe.

Le structuralisme connaîtra une grande fortune comme méthode dans les sciences humaines – jusqu'à assumer une position dominante dans les années 1960. Mais la notion de structure mathématique aura des succès peut-être plus importants, jouant un rôle décisif dans le renouvellement des mathématiques dans les années 1940 et 1950 et jusqu'à aujourd'hui. C'est le point de vue structuraliste qui fonde le traité de mathématiques de Bourbaki. La conférence  évoquera certains aspects du rôle joué par les structures dans les mathématiques contemporaines.

Le concept nomade de structure exprime, en mathématiques, l'idée que certains rapports entre objets mathématiques sont indépendants de la nature de ces objets, mais obéissent à lois "structurelles", de même qu'en linguistique la construction des phrases est largement indépendante de la signification des mots qui la composent, ou qu'en anthropologie les rapports familiaux sont indépendants des individus impliqués.  

André Weil est mort le 6 août 1998, et Claude Lévi-Strauss le 30 octobre 2009, laissant l'un et l'autre une œuvre considérable. 

André Weil, Appendice aux Structures élémentaires de la parenté de Claude Lévi-Strauss,  Paris, Presses universitaires de France (1949).

 

Pour en savoir plus :

Michel Broué est professeur à l'université Denis-Diderot Paris 7, et membre senior de l'institut niversitaire de France. Auparavant, il a dirigé le département de mathématiques de l'Ecole normale supérieure puis l'institut Henri-Poincaré. Spécialiste reconnu internationalement de théorie des groupes, il est auteur de plus de 50 articles scientifiques; il a été conférencier invité au congrès international des mathématiciens à Berkeley en 1986 et est fréquemment invité dans les universités étrangères. Il est rédacteur en chef du Journal of Algebra, la principale revue spécialisée en algèbre.

 

 

17.03.2010 BnF, Paris BnF, Paris