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Lettre ouverte à la CPU, sur l’impact de la réforme de la voie générale du lycée sur l’enseignement des mathématiques

Les mathématiques sont indispensables pour comprendre et modéliser le monde qui nous entoure, et aborder les défis actuels : mutations économiques et environnementales, transformations numériques et sociologiques, nouvelles technologies et sciences des données. Ainsi, pour que la France reste une terre d’innovation, les mathématiques doivent être affichées comme partie prenante la culture de notre pays, accessible au plus grand nombre.

Les mathématiques sont indispensables pour comprendre et modéliser le monde qui nous entoure, et aborder les défis actuels : mutations économiques et environnementales, transformations numériques et sociologiques, nouvelles technologies et sciences des données. Elles sont utiles au quotidien à toutes et tous, à tous les niveaux, accompagnent voire initient les transformations de notre société, en se fondant sur des résultats qui peuvent avoir été démontrés il y a plusieurs siècles, ou seulement plusieurs mois. Ainsi, pour que la France reste une terre d’innovation, les mathématiques doivent être affichées comme partie prenante la culture de notre pays, accessible au plus grand nombre.

Les mathématiques de l’enseignement secondaire jouent un rôle primordial pour la formation à de nombreux métiers d’aujourd’hui, et préparent également à ceux de demain que nous ne connaissons pas encore. Pour cela, le rapport Villani-Torossian proposait de remettre en valeur les mathématiques au collège et au lycée, et soulignait la nécessité de garantir l’accès aux mathématiques à tous les niveaux, pour les étudiants se destinant aux filières scientifiques d'une part, comme pour ceux qui seront des utilisateurs des mathématiques d'autre part. En effet, les domaines concernés par les mathématiques directement (intelligence artificielle, cybersécurité et cryptologie, finance, …) ou indirectement (économie, sociologie, informatique, physique, biologie, écologie et environnement, …) requièrent une formation solide dans notre science, qui permettra aux étudiant.e.s d’acquérir des bases suffisantes pour s’adapter aux évolutions inéluctables, technologiques, de leur futurs métiers. 

Élaborée en parallèle du plan Villani-Torossian[1], la réforme du lycée se veut porteuse d’un meilleur enseignement des mathématiques. Elle est en effet bien conçue pour des élèves qui se destinent à des études scientifiques et offre une palette intéressante d’options et de spécialités en terminale. Mais nous sommes alertés par le fait qu'un pourcentage énorme d'élèves arrête d'étudier les mathématiques trop tôt, alors que cette matière sera un atout important pour la réussite de leurs projets.

En classe de première, les mathématiques ont presque disparu du tronc commun et l’unique possibilité pour étudier les mathématiques en tant que discipline est de suivre une spécialité calibrée pour de futurs scientifiques. Seuls 67% des élèves ont choisi la spécialité mathématiques cette année, les premières projections pour l’an projection sont très pessimistes (à comparer aux plus de 85% d’élèves ayant un cours de mathématiques en S et ES avant 2020). De grosses difficultés sont constatées dans les classes qui sont très hétérogènes, les élèves ayant des niveaux et des objectifs différents. La proportion d’élèves conservant la spécialité mathématiques entre la première et la terminale, ou choisissant l‘option Mathématiques complémentaires, est insuffisante, montrant une défiance et une désaffection pour notre matière. Le nombre d’élèves décrocheurs s’accentuera dans les années à venir.

Une conséquence malheureuse est que de nombreux élèves arrêtent en réalité les mathématiques dès la fin voire dès le milieu de la classe de seconde[2], sachant à l’avance qu’ils n’en auront plus les années suivantes. De plus, à cause de la disparité des niveaux des élèves, les enseignants désespèrent de trouver un langage commun à tous les élèves ou une démarche de différentiation efficace. 

Ainsi, même si la réforme permettra probablement de former des lycéens ayant un très bon niveau en mathématiques, le niveau moyen en revanche diminuera. Au lieu de réconcilier les élèves avec les mathématiques, beaucoup s’en écartent encore plus tôt qu’avant. Formerons-nous demain assez d’ingénieurs, de bon scientifiques (toutes disciplines confondues) pour rester dans la compétition internationale ? Sommes-nous encore en mesure de former correctement nos professeurs des écoles ?

Un comité de suivi de la réforme, présidé par Pierre Mathiot vient de rendre ses conclusions. Nous voudrions à notre tour faire part de nos réflexions et suggestions d’aménagement concernant en particulier les mathématiques, et demandons en cela une prise de position de la part de la CPU.

  1. L’orientation au lycée

L’orientation est un des enjeux de cette réforme. Selon le milieu dont ils sont issus, les lycéens n’ont pas toujours une bonne connaissance des pré-requis nécessaires pour réussir les études qu’ils envisagent. Or, on garantit aux lycéens l’accès à toutes les filières universitaires, quelles que soient les spécialités et options suivies. Savent-ils que ces choix ont une incidence sur la réussite au diplôme ?

Par exemple, une option Mathématiques complémentaires est proposée en terminale, à destination des élèves qui seront plutôt «utilisateurs» des mathématiques et qui ne se destinent pas nécessairement à des études scientifiques. En tant qu’option, elle demandera un travail supplémentaire aux élèves qui s’y engageront, ils ne feront ce choix que s’ils en ressentent la nécessité. Pour cela, ils doivent être informés sur les filières où elle est nécessaire, sous peine de se retrouver en grande difficulté ou de voir certaines portes se fermer d’office.

Il nous semble important que les acteurs du supérieur et en particulier les universités s’expriment sur les combinaisons de spécialités préférables pour chacune des filières du supérieur. Le rôle de la CPU pourrait être crucial dans ce possible affichage des prérequis.

  1. Des groupes de compétences en spécialité mathématiques, ou deux spécialités adaptées ?

Le ministre a annoncé, le 6 janvier 2020, la mise en place de groupes de compétences dans la spécialité Mathématiques de première. Les sociétés savantes et associations concernées par l’enseignement des mathématiques ont recensé les difficultés de mise en œuvre de cette mesure[3], et recommandent depuis plus d’un an la mise en place d’une seconde spécialité « mathématiques » en classe de première (voir le manifeste signé par de nombreuses sociétés et associations[4]), qui permettrait à celles et ceux qui le souhaitent de continuer à progresser et apprendre des mathématiques sans pour autant en faire l’objet central de leurs études.

La CPU a-t-elle émis des recommandations sur ces sujets, et accepterait-elle de soutenir la demande des sociétés savantes et associations de mettre en place 2 spécialités mathématiques en classe de première ?

  1. Gestion de la diversité des parcours lycéens arrivant à l’université

L’université doit accepter tous les bacheliers qui veulent y accéder. Pour s’adapter à la réforme du lycée, il faudrait rendre les filières vraiment flexibles et proposer une formation mathématique solide à des étudiants n’ayant pas suivi un parcours incluant les mathématiques en spécialité. Mais cette promesse, faite par le gouvernement, ne pourra être tenue faute d’un nombre suffisant d’enseignants.

La CPU peut-elle demander au ministère un soutien pour mettre en place les modules nécessaires pour s’adapter à la réforme du lycée? Un programme de recrutement ambitieux d’enseignants et d’enseignants-chercheurs serait nécessaire pour y faire face. En particulier en mathématiques, la France forme encore de nombreux docteurs qui peinent à trouver un poste académique alors qu’ils ont acquis un niveau remarquable. Les postes sont rares alors même que le besoin est urgent. C’est une occasion à ne pas manquer, dans quelques années les docteurs ne seront peut-être plus aussi nombreux.

  1. Sur la formation initiale des professeurs des écoles

La formation initiale des professeurs des écoles est un sujet d’inquiétude : comment former des professeurs des écoles capables de bien enseigner les sciences et les mathématiques ? La situation est déjà critique aujourd’hui, car seulement 20% des étudiants préparant le CRPE ont suivi des études scientifiques. Les autres, ayant arrêté les sciences après la terminale, voire dès la seconde, ont une formation mathématique dérisoire. Ce phénomène risque de s’aggraver avec la réforme du lycée. 

Il est question d’ouvrir, dans les filières littéraires des universités, des modules de mathématiques pour les étudiants qui envisagent de devenir professeur des écoles. Comme pour le point 3-, la CPU peut-elle demander au ministère les moyens nécessaires pour mettre en place une telle mesure ?

  1. Sur l’articulation entre INSPE et composantes disciplinaires dans la formation des enseignants

Un enjeu de la formation des enseignants, notamment en mathématiques, est de garantir les compétences des lauréats du concours pour enseigner des objets abstraits et difficiles dans des classes hétérogènes. Or, la formation initiale des enseignants est engagée dans une réforme qui ne trouve pas sa cohérence entre formation disciplinaire, didactique, pédagogique, stage, mémoire et préparation aux examens. Cela a des conséquences sur l’attractivité de la formation et du métier - le CAPES et l’agrégation de mathématiques manquent cruellement de candidats.

Le dialogue entre les aspects disciplinaire et professionnel des études est indispensable, mais complexifié par la séparation entre les INSPE et les composantes disciplinaires. Cette situation est préjudiciable à la qualité de nos formations. Ainsi, les universités doivent accompagner les INSPE dans la difficile réforme en cours, et encourager les liens avec les autres composantes.

La formation continue, confrontée à la même problématique, est également un enjeu. Dans les universités, les composantes disciplinaires devraient pouvoir s’engager dans la formation continue, au côté des INSPE. En mathématiques, les IREM et les IRES sont les bonnes structures pour cela.

Soutenir les INSPE, les composantes disciplinaires et les IREM dans une démarche commune de formation des enseignants: la CPU peut-elle défendre ces positions auprès des universités ?

Conclusion

Comme nous l’avons expliqué, la formation en mathématiques, du lycée jusqu’à l’université, est largement impactée par les réformes en cours. Au même moment, d'autres réformes ont une répercussion importante sur les professions d'enseignant ou de chercheur en terme d'organisation du travail, de rémunération, de carrière ou de retraite et mettent en péril l'attractivité de ces métiers. Nous sommes convaincus qu’avec le soutien de la CPU, certains travers que nous avons dénoncés depuis plusieurs mois peuvent être évités. Aussi, nous souhaiterions nous entretenir avec vous de l’ensemble de ces sujets.

Pour la SMF,
Stéphane Seuret

Pour la SMAI,
Thierry Horsin

Pour la SFdS,
Jean-Michel Marin

 


[1]21 mesures pour l’enseignement des mathématiques, rapport remis le 12/02/2018 par C. Torossian et C. Villani.

[2] Enquête de l’APMEP, en cours d’analyse

[3]https://smf.emath.fr/actualites-smf/070220-sur-les-amenagements-de-lenseignement-de-la-specialite-mathematiques-en

[4] https://smf.emath.fr/actualites-smf/manifeste-pour-un-enseignement-des-mathematiques-mars-2019

 

 

 

Publiée le 11.03.2020