CNRS : démantèlement ou modernisation ?
par Jean-Claude Bernier, Stéphane Jaffard et Michèle Leduc
LE MONDE | 10.06.08 | 14h01
La ministre Valérie Pécresse a tracé les grandes lignes de l’évolution qu’elle compte mettre en oeuvre pour le CNRS, avec la création de six nouveaux instituts nationaux dans les "domaines où le CNRS exerce un leadership", parmi lesquels figurent nos trois disciplines. D’autres domaines comme les sciences du vivant et l’informatique seraient regroupés avec des organismes différents. Cette annonce déclenche de vives réactions dans la communauté scientifique, d’autant plus sensible à toute modification du fonctionnement du CNRS que la concertation a tourné court.
Depuis la seconde guerre mondiale, le CNRS a joué un rôle central dans le pilotage de la science, ce qui a permis de relever la recherche française, aujourd’hui au 5e rang mondial. Ce fonctionnement est aujourd’hui remis en question. La volonté affichée de mettre les universités au coeur du dispositif leur donne, avec la loi sur l’autonomie, un pouvoir fortement accru pour définir une politique scientifique d’établissement. De plus, les moyens de recherche de base distribués par le CNRS à ses laboratoires régressent face à ceux de l’ANR. Cette nouvelle Agence nationale de la recherche développe des programmes prioritaires qui relèvent avant tout de choix politiques, tandis qu’est chichement limitée la part de ses programmes "blancs", ceux où l’on fait le plus confiance à l’initiative des chercheurs. Cette agence de recherche, que nous aimerions voir dotée d’un conseil scientifique, se trouve ainsi investie d’une responsabilité énorme.
La réforme annoncée peut faire craindre un début de démantèlement du CNRS. La première question touche à la gestion de l’interdisciplinarité. Comment pourront s’articuler les relations des nouveaux instituts entre eux ? Comment travailleront-ils en liaison avec les autres disciplines, par exemple, les sciences du vivant coordonnées à l’Inserm ? Aujourd’hui, les grandes avancées scientifiques sont souvent le fait d’interactions entre domaines différents. Ainsi la physique et la chimie mènent beaucoup d’études sur des objets biologiques ; le traitement du signal et de l’image s’est récemment transformé sous l’impulsion d’avancées mathématiques spectaculaires. Les autres grands pays développés ont tous des opérateurs nationaux capables d’impulser des programmes pluridisciplinaires.
En France, le CNRS joue actuellement un rôle très important de structuration nationale dans nos domaines. On lui doit ainsi la création de groupements de recherche interdisciplinaires, qui mettent en réseau des équipes complémentaires sur l’ensemble du pays, avec des retombées scientifiques fortes et des prolongements industriels, par exemple sur les déchets nucléaires, les molécules thérapeutiques, les piles à combustibles, les nanotubes de carbone, les ondelettes. Au moment où la coordination des organismes avec les universités est plus importante que jamais, il peut sembler paradoxal de réduire le périmètre de l’organisme le plus impliqué dans leur vie.
La création d’instituts au CNRS, en particulier dans nos disciplines de base, peut certes être vue comme une vraie occasion de développer la réflexion collective et la prospective à l’échelle d’une communauté disciplinaire de taille raisonnable. Pourtant, elle ne dispense pas d’une réflexion globale menée au niveau de la direction du CNRS et de son conseil scientifique. Pour que l’efficacité et la cohérence de l’organisme soient préservées, il est nécessaire que sa direction nomme les directeurs des instituts, arbitre leurs budgets, conserve la gestion de l’ensemble de son personnel. Elle doit pouvoir assurer le maximum de mutualisation, multiplier les détachements de chercheurs entre instituts, promouvoir l’interdisciplinarité.
RÉELLE CONCERTATION
Une autre question essentielle concerne l’aide que le nouveau CNRS va pouvoir apporter aux universités, placées en position centrale dans le dispositif de recherche. Le changement est considérable. En supposant que la loi sur les libertés et responsabilités des universités (LRU) ait porté ses fruits et que les établissements se soient dotés d’une bonne gouvernance, ils ne pourront pas se passer de la vision globale fournie par les organismes nationaux pour l’implantation raisonnée des efforts de recherche par domaine sur le territoire. De plus, les universités vont devoir accroître leur concertation avec les nouveaux instituts du CNRS et les autres organismes de recherche pour définir les moyens de recherche matériels et humains à fournir aux laboratoires et la nomination de leurs directeurs.
C’est pourquoi il importe que les réformes simultanées du CNRS et des universités soient menées avec une réelle concertation pour être acceptées et mises en oeuvre avec dynamisme. C’est la condition, accompagnée d’une synergie accrue avec le milieu des entreprises, pour que notre pays soit en mesure d’affronter les grands défis technologiques à venir et se maintienne au niveau qu’impose une concurrence maintenant mondiale.
Jean-Claude Bernier est vice-président de la Société française de chimie ;
Stéphane Jaffard est président de la Société mathématique de France ;
Michèle Leduc est présidente de la Société française de physique