J. W. Gibbs : les mathématiques du hasard au cœur de la physique ?
par V. Beffara
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Au XIXe siècle, la révolution industrielle tourne à plein, et avec elle on s'intéresse aux propriétés physiques des machines et de leur façon de transformer la chaleur en travail. La thermodynamique est la branche de la physique qui décrit les phénomènes impliqués : échanges de chaleur entre différents fluides, dilatation des gaz en fonction de leur température et de leur pression. Sadi Carnot écrit en 1824 le texte fondateur de la thermodynamique, « Réflexions sur la puissance motrice du feu et sur les machines propres à développer cette puissance », dans lequel il donne un cadre théorique à l'étude des machines thermiques et de leur efficacité.
Au même moment, une autre description physique du monde, la théorie atomique, émerge en tant que théorie scientifique avec les travaux de John Dalton : son principe est de décomposer la matière en éléments « irréductibles », les atomes, et d'expliquer les propriétés chimiques de la matière à partir de la façon dont les atomes qui la composent interagissent.
Il s'agit là de deux approches totalement différentes, qui vont évoluer presque indépendamment pendant un siècle, jusqu'au développement, au tout début du XXe siècle, de ce qui deviendra la mécanique statistique. Le programme de Ludwig Boltzmann et Josia Willard Gibbs est d'expliquer les propriétés thermodynamiques de la matière, et en particulier celles des gaz, à partir de leur description atomiste. Pour cela, ils introduisent une description mathématique, probabiliste, à partir de laquelle les notions fondamentales de la thermodynamique, comme l'énergie, la température et la pression, peuvent être définies de manière mathématique.
Un peu plus précisément, un gaz dans un récipient peut être vu comme la collection des très nombreuses molécules qui le composent, et qui sont en mouvement par agitation thermique. L'état du système n'est pas donné par la position et la vitesse de chaque molécule, ce qui ne serait ni observable ni maniable, mais comme une loi de probabilité sur ces positions et ces vitesses. On peut alors interpréter la température du gaz en fonction de la vitesse moyenne d'une molécule, voire la pression exercée sur le récipient comme l'effet moyen des molécules qui heurtent son bord, et modéliser les échanges thermiques entre gaz comme conséquences d'interactions entre leurs molécules.
Gibbs publie en 1902 le premier ouvrage qui traite de cette nouvelle théorie et lui donne son nom, les « Principes élémentaires en mécanique statistique ». Ce changement de point de vue aura un effet profond sur toute la physique du XXe siècle, et aussi sur les mathématiques puisqu'elle constitue un terrain où mathématiques et physique se fécondent mutuellement ; la mécanique statistique est encore aujourd'hui un domaine de recherche en pleine activité.
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J. W. GIBBS, Principes élémentaires en mécanique statistique, 1902.
Vincent Beffara
Vincent Beffara est directeur de recherches au CNRS, actuellement au sein de l'université Joseph Fourier, à Grenoble. Il était auparavant chercheur à l'École normale supérieure de Lyon, après une thèse soutenue à l'université d'Orsay. Il s'intéresse à la théorie des probabilités, et notamment aux phénomènes critiques en lien avec la physique statistique. En 2012, il a reçu avec Hugo Duminil-Copin le prix Rollo Davidson.
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