"Paul Langevin, le mouvement brownien et l'apparition du bruit blanc"
Il y a un joli petit square Paul Langevin dans le quartier latin, à Paris, et plusieurs lycées Paul Langevin en France. De qui s’agit-il ? D’un grand physicien, et d’un homme engagé dans de grands mouvements intellectuels, sociaux et politiques, dans la France de la première moitié du 20e siècle. Ses idées et sa vie font partie de notre histoire. Mais pourquoi en parler dans le cadre « Un texte, un mathématicien » ? Paul Langevin n’est pas connu comme mathématicien. Et pourtant…
Le texte, c’est une note aux Comptes rendus de l’Académie des sciences de 1908 « sur le mouvement brownien ». On va voir cette note sur écran : elle a trois parties , une petite au début sur l’histoire du mouvement brownien et sur une énigme à résoudre, une petite à la fin sur les expériences en cours, et une partie centrale où Paul Langevin expose son approche pour établir les équations . Or cette partie centrale est en petits caractères. Pourquoi ? Est-ce modestie de la part de l’auteur ? Comment fonctionnaient les Comptes rendus ?
Le mouvement brownien, qu’est-ce que c’est ? Au 18e siècle, un mouvement perpétuel de particules organiques en suspension dans un liquide, d'abord interprété comme venant d'une force vitale. Depuis les observations soigneuses du botaniste écossais Robert Brown, dans les années 1820, la force vitale est hors de question. La question passe à la physique, certains pensent à l’effet possible de chocs moléculaires, l’affaire n’est définitivement éclaircie qu’avec Einstein en 1905, et Smoluchowski indépendamment. La physique rend compte des observations et stimule des expériences ; celles de Jean Perrin font entrer les atomes dans la conscience commune.
Jean Perrin observait que le mouvement désordonné des particules pouvait faire penser aux fonctions continues sans dérivées des mathématiciens. C’est Norbert Wiener qui a construit l’objet mathématique répondant aux équations des physiciens, et en effet cet objet confirme l’intuition de Jean Perrin : c’est une fonction continue qui n’est dérivable nulle part.
Après Wiener, l’étude approfondie de cet objet mathématique a été l’œuvre de Paul Lévy. Et Paul Lévy l’a appelé le mouvement brownien.
Ce nom a le mérite d’évoquer une belle histoire de transition d’un sujet de la biologie à la physique et de la physique aux mathématiques. Dans cette conférence, le mouvement brownien est celui des mathématiciens.
Paul Langevin retrouve les équations d’Einstein par une méthode simple. La vitesse d’une particule est régie par l ‘équation de Newton : sa dérivée est proportionnelle à la force qui s’exerce sur elle. Pour une particule en suspension dans un liquide, cette force comprend la résistance visqueuse qui, si elle était seule, stopperait le mouvement . Comme le mouvement se poursuit, c’est qu’il y a une force additionnelle, dont on ne sait rien. Mais un minimum d’hypothèses et un habile passage à la moyenne permettent à Paul Langevin d’établir l’équation de l’énergie moyenne, et par là l’équation d’Einstein : en moyenne, le carré des déplacements est proportionnel au temps écoulé.
L’équation de Langevin est la première équation différentielle stochastique : une équation différentielle dont un terme est aléatoire. Ce terme aléatoire, dans la version moderne de l’équation de Langevin, est appelé le « bruit blanc ». Aujourd’hui, le mouvement brownien et les équations différentielles stochastiques sont l’objet de très belles recherches et sont en même temps des outils d’usage courant dans toutes les sciences.
Texte : « Sur la théorie du mouvement brownien ». Note de M. P. Langevin, présentée par M. Mascart. Comptes rendus hebdomadaires des séances de l’Académie des sciences, série physique, Séance du 9 mars 1908, tome 146, pp. 530-533 disponible sur Gallica.
Pour en savoir plus : bibliographie
Jean-Pierre kahane
Ancien élève de l’Ecole normale supérieure, Jean-Pierre Kahane a été attaché de recherches au CNRS, professeur à la Faculté des sciences de Montpellier, puis professeur à l'Université Paris-Sud (Orsay), actuellement émérite. Il est membre de l’Académie des sciences depuis 1998. La plus grande partie de ses travaux concerne l’analyse harmonique, riche sujet né des travaux de Fourier (1807) et Riemann sur les séries trigonométriques (1867). Depuis lors, le sujet est efflorescent : il touche à la théorie des nombres, à celle des groupes, aux systèmes dynamiques, aux probabilités, et il a servi de banc d’essai à nombre de théories contemporaines. Les contributions de Jean-Pierre Kahane et de ses élèves sont nombreuses et concernent des aspects variés. A titre d’exemples, le livre sur les ensembles parfaits et les séries trigonométriques, en collaboration avec Raphaël Salem (1963) est le premier ouvrage traitant de la fractalité ; le livre sur les séries de fonctions aléatoires (1968) expose comment l’analyse et les probabilités s’assistent mutuellement dans des circonstances diverses ; le livre sur les séries de Fourier et les ondelettes, en collaboration avec Pierre-Gilles Lemarié-Rieusset, donne un aperçu de travaux classiques en liaison avec les développements récents. Jean-Pierre Kahane est l'auteur de plusieurs rapports et recommandations sur l'enseignement des mathématiques dans les lycées et les collèges. Ses intérêts pour les relations entre la science et la société s’articulent avec un engagement social et politique qui lui a fait assumer des responsabilités diverses, du secrétariat du syndicat national de l’enseignement supérieur à la présidence de l’université Paris-Sud, de la participation au comité central du parti communiste à la présidence de l’Union rationaliste. Il est aujourd’hui membre du comité consultatif national d’éthique sur proposition de l’Académie des sciences.
Le cycle "Un texte, un mathématicien"