A un maître affable et génial par Julien Barral
Au delà de la grande tristesse que je ressens depuis la nouvelle de sa disparition, la permanence de certains sentiments ou souvenirs liés à Jean-Pierre me réconfortent. D’abord, la bienveillance et la disponibilité qui émanaient de son regard et de sa voix quand il vous disait « Bonjour! ». Aussi, la considération qu’il montrait à ses interlocuteurs mathématiciens, parfois peut-être un peu dépassés (pour ma part en tout cas), quand il ne manquait pas d’évoquer avec eux les questions les plus ardues qui le préoccupaient dans le moment. Bien entendu, la fascination qu’exercent sur qui s’y penche l’étendue, la subtilité, la profondeur, et bien souvent le génie de son oeuvre galopante, parfois difficile à appréhender. Plongez-vous dans « Some random series of functions » ou « Sur le chaos multiplicatif» et laissez la magie opérer.
J’ai croisé Jean-Pierre à deux pas de la Closerie des Lilas un jour de manifestation du mouvement « Sauvons la Recherche ». Sympathisant, il était descendu de chez lui pour assister quelque temps au défilé. Je m’arrête naturellement pour le saluer; il me parle alors de l’article qu’il venait d’écrire avec Jean Bourgain et me dit en souriant, rempli d’admiration pour son co-auteur: « Il est rapide; mais il faut tout de même le surveiller.».
Comme beaucoup, j’ai souvent été subjugué à l’écoute de certains de ses exposés ou prises de paroles; pour leur contenu bien sûr, mais pas seulement. Jean-Pierre était un homme lettré; sa façon d’exprimer son éloquence, pour elle-même, mais aussi en tant qu’elle incarnait une certaine époque, me manquera cruellement.
Je n’oublie pas l’émotion qui s’est emparée de l’assemblée à Orsay l’an dernier lorsque, après que Jacques Peyrière lui a rendu hommage, Jean-Pierre a franchi en souplesse la « haie » qui le séparait de ce dernier pour aller l’embrasser. Kahane-Peyrière! Dire que ce tandem légendaire du chaos multiplicatif m'a inspiré est bien peu. Il m’a aussi transmis une certaine façon de faire des mathématiques.
Jean-Pierre, je me trouve à Hong-Kong, raison pour laquelle j’ai manqué l’ultime et belle occasion qui m’était offerte de vous rencontrer: la remise des prix du concours SMF-junior à laquelle j’étais convié. Les photos prises de vous vous montrent plutôt à votre avantage. Mais vous allez voir que vous n’étiez pas bien loin. Il y a quelques jours de cela, aux prises avec une hypothèse parasite dans un calcul de dimension, je disais à mon hôte: « We should find a way to make Kahane’s percolation method working for Mandelbrot measures in the non conformal case. » C’est à l'étude.