Rapport de synthèse du forum "Acteurs de la recherche"
Le métier de chercheur
Il existe un métier de chercheur qui se définit par la production de connaissance rationnelle, qui ne se confond pas avec le bilan de ce qui existe ou la répétition de ce que d'autres ont déjà énoncé. Cette activité exige un investissement quasi-total.
C'est une activité pour autant très diverse et polyvalente qui comprend
1) la recherche au sens strict,
2) l'encadrement de jeunes chercheurs,
3) l'enseignement à de jeunes doctorants et à un public plus large,
4) la valorisation dans le secteur économique ou social,
5) la gestion et l'animation de la recherche.
Ces fonctions sont déjà définies dans le statut actuel des chercheurs. Une bonne part des chercheurs les remplissent tout naturellement, en évoluant au cours de leur vie professionnelle et font tenir à la recherche française un rang enviable et reconnu dans le monde.
La recherche peut se développer d'abord par la curiosité et la volonté de réduire les lacunes de nos connaissances. Elle se développe aussi en fonction d'applications prévisibles ou envisageables.
Les deux approches fondamentale et appliquée se complétent. Les exemples sont très nombreux d'applications empruntant des connaissances ou des outils développés loin de tout contexte "ciblé". Exemple récent (Internet, les bactéries du fond des océans et le génie génétique, ...) C'est sur la base des recherches d'hier que les connaissances, l'enseignement et les capacités de la société d'aujourd'hui et demain se développent. Il est difficle de le faire reconnaître dans une société centrée sur le court terme mais la recherche est à long terme un des investissements les plus rentables.
Dans tous les pays, la recherche de pointe est effectuée pour une bonne part par des personnels à plein temps. C'est une conséquence de l'investissement personnel quasi-total et des contingences de la réalisation de nombreux travaux et c'est la seule manière efficace de procéder.
La question posée est de savoir si cette activité doit être limitée dans le temps. Nous disons que la possibilité actuelle, qui existe en France comme dans d'autres pays y compris les Etats-Unis, de faire une carrière entière au service et au bénéfice de la recherche doit être préservée. Il n'en demeure pas moins qu'en raison même de sa diversité la carrière de chercheur ne doit pas être unique. Elle doit être à même d'offrir les moyens de faire de la recherche à ceux et celles qui sont les plus novateurs et les plus productifs. De ce point de vue les mesures adoptées récemment en faveur de la prise de responsabilité des jeunes chercheurs nous paraissent aller dans le bon sens. Il doit être possible d'entrer dans la carrière de chercheur et d'en sortir, temporairement ou définitivement, à différentes étapes.
Situation actuelle des universitaires en matière de recherche La situation française est très différente de celle des grandes universités américaines où les enseignants peuvent pendant de nombreuses années se consacrer majoritairement à l'avancement de leurs travaux et où ils bénéficient d'un environnement visant à les rendre disponibles pour leurs étudiants et leurs recherches. Le rayonnement de ces grandes universités est toutefois contrebalancé par l'existence d'universités mineures où les enseignants ne font pratiquement pas de recherche. Plus de 14 000 enseignants chercheurs français font partie des unités mixtes auquels il faut ajouter quelques milliers de membres des UPRES et naturellement des UPR. La quasi-totalité des unités de recherche entretiennent les relations les plus étroites avec les universités et autres EPST, dans lesquelles elles animent réellement la vie scientifique, et une majorité d'unités sont dirigées par des universitaires.
De façon générale tous les enseignants-chercheurs universitaires ont été recrutés pour consacrer une part de leur temps à des activités de recherche. Mais il est vrai que la proportion d'universitaires effectivement intégrés à des équipes de recherche est très variable selon les secteurs scientifiques.
Les conditions pratiques d'exercice de la recherche pour les enseignants-chercheurs universitaires restent insuffisantes tout particulièrement pour les plus jeunes. Le jeune enseignant-chercheur se voit soudain soumis à une importante charge de cours. Il lui arrive de décrocher de la recherche de pointe et cette cassure de rythme est préjudiciable à la recherche dans son ensemble. Il faut ajouter à cela des charges parasites considérables (administration, secrétariat). Il n'y a pas en France d'années sabbatiques régulières qui permettent aux enseignants de se consacrer exclusivement à la recherche périodiquement pendant un an. Le système de l' IUF a été mis en place récemment mais il est très limité et insuffisant. Se pose aussi le problème du choix des bénéficiaires.
Le CNRS dispose de postes d'accueil en délégation et en détachement mais en trop petit nombre pour que cette possibilité soit accessible à une proportion notable des enseignants-chercheurs. Se pose aussi le problème de l'accueil des enseignants du secondaire qui ne peuvent bénéficier de délégation et pour lesquels doit être élargi le principe d'accueils en détachement. Il est évident que donner de réelles possibilités de faire de la recherche aux enseignants-chercheurs ne peut se faire grâce au CNRS seulement, mais qu'il faut revoir les missions des enseignants-chercheurs eux-mêmes.
Enseignement, recherche, carrières
La recherche est indissociable de la transmission du savoir et l'article 3 du décret du 30 décembre 1983 stipule que les chercheurs "participent à la formation initiale et à la formation continue dans les organismes de recherche et dans les établissements d'enseignement supérieur". Tout laisse penser qu'il en est bien ainsi, et il serait instructif de faire un bilan des importantes contributions du personnel CNRS à la vie universitaire (directions de maîtrises et de thèses, participation à des jurys de thèses, séminaires organisés gratuitement, organisation de la recherche collective, enseignement). Le volume des enseignements dispensés n'est-il pas déjà de l'ordre de 30 à 50 heures par an en moyenne ? Au moins 50% des personnels chercheurs sont impliqués dans l'enseignement. Le Comité national en tient déjà compte dans l'évaluation et devrait le faire plus encore.
La relation entre enseignement et recherche est assez différente selon les disciplines. Il existe des domaines entiers couverts par le CNRS où la recherche universitaire est faible. Il peut s'agir de disciplines peu représentées à l'Université et où le CNRS remplit à la fois un rôle d'institution de recherche et de formation du petit nombre de spécialistes nécessaires. Il peut s'agir également de domaines où l'Université s'est totalement concentrée sur sa fonction pédagogique et a laissé la recherche en déshérence, l'abandonnant à un petit nombre d'unités particulièrement importantes pour le maintien d'une référence scientifique forte dans l'encadrement des doctorants.
Dans d'autres domaines au contraire, c'est le cas des mathématiques, de la physique, de la chimie, recherche et enseignement sont très proches et ne se conçoivent guère l'un sans l'autre. Ce sont les domaines où un doctorant frais émoulu de l'enseignement est à même de produire rapidement des résultats originaux. A l'inverse, on peut faire porter les enseignements sur des sujets proches des thèmes de la recherche. L'intérêt d'illustrer l'enseignement par des thèmes de recherche contemporains dès les premières années a été souligné.
Pour que le statut général des chercheurs puisse tenir compte de toute la féconde diversité des activités de recherche, de la pluralité des champs disciplinaires, il importe qu'il continue à définir les missions et leur évolution dans un cadre très souple et sur la base du volontariat. La répartition des âges au CNRS est liée à une politique de recrutement en "coups d'accordéon" contraire à une évolution harmonieuse de l'organisme. On notera que l'âge moyen (47 ans) est médian entre l'âge du recrutement, 30 ans, et celui du départ à la retraite (65 ans). Mais lorsqu'on tient compte des doctorants et post-docs, dont le rôle dans les laboratoires est essentiel, la moyenne d'âge des acteurs dans les laboratoires apparaît très inférieure.
La mobilité des chercheurs CNRS, inscrite à l'article 11 du décret du 30 décembre 1983 fixant les obligations statutaires, peut être thématique ou géographique. Elle peut concerner les séjours à l'étranger ou le passage dans le secteur économique. La mobilité vers l'économie est compliquée par le cadre réglementaire. La mobilité vers l'Université est faible, l'évolution des missions de l'Université ayant aggravé cette tendance. Depuis plusieurs années, la restriction des promotions notamment au passage DR2-DR1 fait que les carrières au CNRS sont bornées par un horizon très limité. Cette politique est, elle l'avoue parfois, destinée à contraindre les chercheurs à quitter l'organisme. Il semble bien que cette idée ne résolve aucun problème. On peut estimer qu'un système de mesures incitatives serait plus efficace. Des mesures techniques favorisant les passages CR1-PR2 sont parfaitement envisageables. On voit mal pourquoi des chercheurs épanouis et en pleine force de productivité devraient se reconvertir, mais il serait très souhaitable qu'un maître de conférences puisse poursuivre une activité de recherche à plein temps ou à temps partiel et qu'un chercheur qui enseigne puisse avoir des chances réelles de promotion sur un poste de professeur. La mise en place de passerelles fiables et leur utilisation dans les deux sens exigerait en fait la modification de l'environnement universitaire lui-même et de la place qui y est faite à la recherche. Des passerelles doivent également exister entre le corps des ITA et celui des chercheurs. Il conviendrait que les Ingénieurs de recherche soient évalués par le Comité national.
Le CNRS doit de son côté dégager un nombre croissant de postes d'accueil temporaires pour les universitaires et offrir aussi la possibilité à un nombre significatif d'enseignants-chercheurs de passer dans le corps des DR2 ou DR1.
Une remise en cause profonde du statut des chercheurs CNRS (où sont déjà inscrites tant la mobilité que la participation à l'enseignement) n'irait pas à l'heure actuelle dans le sens d'une amélioration de la science produite en France. Si on peut souhaiter à terme créer un système combinant plus étroitement les carrières de recherche et d'enseignement, il convient préalablement que les carrières des universitaires soient profondément réorganisées dans un sens qui rende ces passages naturels. En toute hypothèse, il importe particulièrement de maintenir et développer au CNRS les cadres d'une politique de recherche définie nationalement.
Conclusion
- Le CNRS doit multiplier les détachements et délégations à l'intention des enseignants-chercheurs et autres acteurs de la recherche, ces procédures constituant autant de passerelles.
- Il faut maintenir le statut spécifique des chercheurs, personnels recrutés et évalués par le Comité national.
- Les chercheurs devraient être incités à davantage contribuer à l'enseignement et à la valorisation, comme le statut actuel le prévoit. Ces deux dimensions de leur activité pourraient avoir plus d'importance dans les procédures d'évaluation.
- On doit faire appel à l'Université afin qu'elle améliore très sensiblement les conditions d'exercice de la recherche pour ses enseignants-chercheurs, notamment les plus jeunes.
- Pour répondre à la pluralité et à la variété des disciplines et des situations qui font la richesse du CNRS, le maître-mot doit rester la souplesse.
Rapport de synthèse rédigé par Michel Espagne (section 35) et Bernard Legras (section 13)