Motifs géométriques dans l'aire de la Grèce pré- ique. Exploration des frontières entre décoration, art et recherche de structures
Geometrical Patterns in the Pre- ical Greek Area. Prospecting the Borderland between Decoration, Art, and Structural Inquiry
Anglais
Nombre d'histoires générales des mathématiques évoquent aux tout débuts des mathématiques les décorations « géométriques » de la préhistoire, en même temps que l'opération de compter et les baguettes à encoches, suggérant ainsi (sans que ce soit dit explicitement) qu'une ligne de développement directe lie ces décorations à la géométrie en tant que branche des mathématiques. L'article confronte cette conviction à un cas historique particulier : le caractère changeant des décorations géométriques dans ce qui sera l'aire grecque, du néolithique moyen au premier millénaire av. J.-C.
Pendant la période « européenne ancienne » (du sixième au troisième millénaire av. J.-C., dates obtenues à l'aide du carbone 14 et calibrées), le développement va de débuts non systématiques et non diversifiés vers un déploiement d'imagination et de variation, suggérant parfois des symétries combinées, mais ressortissant toujours au visuel sans être soumises à des contraintes formelles ; ce type de décoration pourrait être appelé « impressionisme géométrique ».
Depuis la fin du sixième millénaire, les spirales et méandres y occupent une place importante. Dans l'orbite cycladique et minoenne, ces éléments se sont transformés en algues et autres formes souples. De la vie est insufflée dans ces dessins et les symétries se dissolvent. On pourrait parler d'une rupture, la décoration devenant art tout en s'éloignant simultanément de la géométrie.
La céramique de la Grèce mycénienne emprunte beaucoup au style minoen ; d'autres types de décoration, en revanche, exhibent un fort penchant pour les propriétés formelles des dessins — suffisamment peut-être pour nous permettre de parler d'un intérêt authentiquement mathématique dans la géométrie. Sur la longue durée, ceci aura un certain impact sur le style des poteries décorées, qui devient plus rigide et commence à inclure des éléments non figuratifs, sans qu'ils soient purement formels. Lors de l'effondrement du système étatique mycénien, vers 1200 av. J.-C., cette formalisation « mathématique » disparaît et ne laisse pas la moindre trace dans les décorations de la période suivante, dite géométrique. Celles-ci résultent, en revanche, d'autres développements, ceux d'éléments non figuratifs et répétitifs présents sur les vases décorées de la période mycénienne tardive. Loin de transférer l'exploration mathématique présente au début de l'époque mycénienne à l'âge ique, elles représentent plutôt un retour progressif vers la géométrie visuelle des périodes antérieures.
Examiné à la lumière des conceptualisations et idéaux géométriques, le développement de la décoration géométrique dans l'aire culturelle grecque, du néolithique à l'âge de fer, apparaît ainsi clairement structuré. Mais il n'est pas linéaire, il ne mène pas nécessairement d'une décoration à caractère géométrique à l'exploration systématique de structures formelles (qu'elles soient intuitives ou accompagnées de preuves). En particulier, la géométrie grecque ique semble plonger ses racines moins directement que ne le suggèrent les histoires générales, dans les anciennes ornementations géométriques (si toutefois il y en a).