Mathématiques & Covid-19 : la plateforme MODCOV19 de l'INSMI
par Jean-Stéphane Dhersin et Emmanuel Royer
Scientifiques de l'INSMI nous présentent la plateforme MODCOV19.
Origine et construction
Premier trimestre 2020, l’Insmi perçoit le besoin de coordonner la modélisation autour de Covid-19. Jean-Stéphane Dhersin, professeur à l’Université Sorbonne Paris-Nord et directeur adjoint scientifique en charge de l’international à l’Insmi, avait déjà collaboré avec Yazdan Yazdanpanah sur des problèmes de modélisation des épidémies. Ce dernier préside REACTing, dont la mission est d’être « un consortium multidisciplinaire rassemblant des équipes et laboratoires d’excellence, afin de préparer et coordonner la recherche pour faire face aux crises sanitaires liées aux maladies infectieuses émergentes ». Il lui présente un projet de plateforme dont un premier objectif serait d’identifier des chercheurs et chercheuses soit travaillant déjà en modélisation autour de Covid-19, soit ayant compétences en modélisation qui pourraient être mobilisées.
Modéliser, ce n’est pas simplement calculer R0, ou même décrire ou prédire l’évolution de l’épidémie. Les besoins de modélisation sont grands pour organiser la prise en charge hospitalière, la production de médicaments, l’étude de leur efficacité, pour comprendre le virus, pour étudier l’efficacité des mesures prises en prenant en compte tant les effets sanitaires qu’économiques. La modélisation doit rapidement éclairer les responsables en charge de la prise de décision, mais elle doit aussi travailler dans un plus long terme sur des problèmes de fond.
L’Insmi propose alors au CNRS la mise en place d’une plateforme qui doit être pluridisciplinaire, reposant sur une écoute des scientifiques indépendamment de toute appartenance à des organismes ou structures préexistantes. Reposant sur les moyens mis à disposition de l’Insmi cette plateforme est lancée le 31 mars 2020 par un appel à compétences largement diffusé. En plein confinement, période loin d’être idéale pour développer des recherches, l’envie de mettre ses compétences au service d’une meilleure compréhension de l’épidémie est grande, plus de 300 réponses de scientifiques de toutes universités, de tous organismes, travaillant en mathématiques bien sûr, mais aussi en physique, en biologie, en informatique, en médecine… arrivent. En même temps qu’il faut traiter les réponses, il faut organiser la plateforme. Un groupe de personnes volontaires (et très motivées puisqu’il a fallu très vite faire preuve de beaucoup de disponibilité et réactivité dans des conditions de travail dégradées) a donc été réuni que nous souhaitons ici remercier pour la qualité de leur action. Ce groupe, dit « comité de coordination » est composé d’un comité scientifique et d’un comité de soutien logistique, comités qui en pratique travaillent quotidiennement main dans la main :
- Comité scientifique
- Vincent Bansaye, professeur chargé de cours à l’École polytechnique, membre du Centre de mathématiques appliquées (CNRS et École polytechnique),
- Antoine Chambaz, professeur à l’Université de Paris, directeur de la fédération parisienne de modélisation mathématique, membre du laboratoire Mathématiques appliqués à Paris 5 (CNRS et université de Paris),
- Nicolas Champagnat, directeur de recherche Inria affecté à l’Institut Élie Cartan de Lorraine (CNRS & Université de Lorraine),
- Florence Débarre, chargée de recherche CNRS affectée à l’Institut d’écologie et des sciences de l’environnement de Paris (CNRS, Inrae, IRD, Sorbonne Université, Université Paris-Est Créteil Val-de-Marne),
- Jean-Stéphane Dhersin, directeur adjoint scientifique de l’Institut national des sciences mathématiques et de leurs interactions (Insmi), président du comité,
- Marie Jauffret-Roustide, chargée de recherche Inserm, affectée au Cermes3 (Inserm, CNRS, EHESS, Université de Paris),
- Françoise Praz, directrice de recherche CNRS chargée de mission pour les relations biologie-santé-médecine à l’Institut des sciences biologiques du CNRS,
- Anne Siegel, directrice de recherche CNRS chargée de mission bioinformatique à l’Institut des sciences de l’information et de leurs interactions du CNRS,
- Jean-Christophe Thalabard, professeur à l’université de Paris, membre du MAP5 (CNRS et université de Paris), praticien hospitalier à l’unité gynécologie-endocrinologie, Hôpital Cochin Port- Royal, APHP,
- Amandine Véber, chargée de recherche CNRS affectée au Centre de mathématiques appliquées (CNRS et École polytechnique),
- Elisabeta Vergu, directrice de recherche Inrae affectée à l’unité Mathématiques et informatique appliquées du génome à l’environnement ;
- Groupe de soutien logistique
- Anselme Le Texier, secrétaire gestionnaire de l’Insmi ;
- Violaine Louvet, ingénieure de recherche CNRS, directrice de l’unité mixte de services Grenoble Alpes Recherche-Infrastructure de CAlcul Intensif et de Données (CNRS, Inria et Université Grenoble Alpes) ;
- Emmanuel Royer, directeur adjoint scientifique de l’Insmi.
Ce comité a reçu l’aide précieuse de l’ensemble de la PLM-Team en charge des services de la Plateforme en Ligne Mathrice.
Les objectifs initiaux de MODCOV19 étaient multiples. Le premier d’entre eux était de pouvoir apporter des réponses à des questions concrètes de divers services de l’État. Cet objectif nécessitait d’avoir une vision claire et, aussi exhaustive que possible, des actions déjà entreprises en modélisation et du potentiel de compétences. Nous voulions aussi être en mesure de faire remonter aux instances de décision et aux instances scientifiques pertinentes, de manière coordonnée et structurée, les actions de modélisation autour de questions bien définies mais aussi être force de proposition de projets permettant la lutte contre Covid-19. Parce que beaucoup semblaient travailler sur des thèmes proches et avec des outils similaires, il fallait coordonner et permettre un échange entre les chercheurs et chercheuses pour gagner rapidement en information et éviter les redondances, favoriser la coopération pluridisciplinaire.
MODCOV19 : où en est-on ?
Le recensement a été un succès. Indiquons ici qu’il est toujours possible de devenir membre de la plateforme MODCOV19 en remplissant simplement un questionnaire comme indiqué sur le site https://modcov19.math.cnrs.fr/communaute/
Ce recensement a permis d’apporter, dans des délais très courts, des réponses aux demandes de différentes structures impliquées dans les aspects scientifiques de la lutte contre Covid-19 : ministères, OPECST, REACTing, CARE, organismes de recherche, universités, sources de données (Santé Publique France, Health Data Hub, …). Il a aussi permis de mettre en relation des chercheurs et chercheuses travaillant dans des domaines proches ou, ayant au contraire des compétences complémentaires. Nous avons pu accompagner des projets dans leur réflexion, la remontée de leurs résultats et leur apporter une aide logistique (par exemple, modélisation à Mayotte, campagnes de tests, outil numérique d’aide à la décision de la DGA, contacts dans les écoles…) ; Un site internet a été ouvert https://modcov19.math.cnrs.fr/, avec une remarquable implication du groupement de service Mathrice du CNRS et de l’unité mixte de services Gricad (CNRS, Inria et Université Grenoble Alpes). Il est essentiellement destiné à amplifier les échanges au sein de la communauté scientifique travaillant en modélisation en période de crise épidémique. On y trouve trois espaces. Un espace public et accessible à tous et toutes, un espace restreint est destiné à l’ensemble des membres de la plateforme et enfin, un espace est réservé au comité de coordination. On trouve sur l’espace public les travaux des membres de la plateforme qui acceptent de les y afficher avec un résumé en français, la lettre envoyée régulièrement aux membres, les appels à projets relatifs à Covid-19 et un ensemble de ressources (des ressources bibliographiques, des séminaires dédiés à Covid-19, des données numériques et des ressources de calcul). L’espace restreint aux membres offrent les ressources suivantes :- Des fiches de lecture d’articles scientifiques liés à Covid-19. Ces fiches sont élaborées, sous la responsabilité du groupe « veille bibliographique » du comité de coordination, par un ensemble de lecteurs et lectrices volontaires de la communauté. Elles sont aussi affichées sur le site bibliovid ;
- Le programme du groupe de travail MODCOV19 et les présentations des séances passées. Ce groupe de travail se réunit deux fois par mois le mardi après-midi sur une instance Mathrice de Big Blue Button. Avec un large spectre scientifique, il favorise les échanges sur les projets des participantes et participants mais a aussi un objectif de formation et de sensibilisation à des phénomènes à modéliser (répartition spatiale, mobilité, …) ;
- Chaque membre est invité à présenter ses compétences et ses projets en cours. Cette information partagée favorise les échanges entre scientifiques de toutes disciplines et la partage de compétences.
Un bilan provisoire
Au niveau national, la coordination scientifique institutionnelle dans la crise a été insuffisante. On se retrouve ainsi parfois face à des situations ubuesques où des directions censées piloter des actions découvrent certaines de leurs prérogatives lancées par d’autres organismes ou instances. La coopération entre les acteurs institutionnels n’a pas été à la hauteur des enjeux scientifiques jusqu’à parfois freiner la coopération. Le partage des données, qui aurait dû être une priorité, a été un parcours du combattant. Cela doit amener l’ensemble des scientifiques à mener une réflexion sur les données vraiment nécessaires à la modélisation, en accord avec ce que la société est prête à leur donner et la confiance qu’elle leur accorde. La crise n’est pas finie. Il faut cependant, dès maintenant réfléchir à la mise en place des structures et savoirs nécessaires à une amélioration de la modélisation en temps de crise épidémiques et à la diffusion de résultats vérifiés en temps très court et accompagnés des éléments (hypothèses, incertitudes...) qui aident les responsables à prendre des décisions éclairées.
Ces points peuvent sembler un peu sombre. Ils ne doivent pas cacher l’essentiel. La communauté scientifique (et pas seulement mathématique) a répondu présent à l’appel de l’Insmi, dans un bon esprit. Au-delà des applications immédiates, l’événement a dynamisé la recherche. Il a été agréable de voir comment en peu de temps nous avons réussi à mettre ensemble des chercheurs et chercheuses de domaine variés (mathématiques, physique, informatique, biologie, écologie, astrophysique, médecine…) avec une action de type bottom-up qui n’étaient pas pilotée par un appel à projet pluridisciplinaire mais répondait à une véritable aspiration d’une grande partie de la communauté scientifique.