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Décès de Pierre Berthelot

Nous apprenons avec tristesse le décès de Décès de Pierre Berthelot le jeudi 7 décembre.

"C'est avec une profonde tristesse que nous vous annonçons le décès de Pierre Berthelot, survenu hier après-midi. Nous ne perdons pas seulement un éminent maître en mathématiques, mais aussi un précieux ami.

L'œuvre mathématique de Pierre Berthelot, tout aussi rigoureuse qu'élégante, incarne la quintessence de l’école de géométrie algébrique française. Sa carrière a débuté sous la direction d’Alexandre Grothendieck. Dans une interview en 2014, il partageait : « Mon premier contact avec Grothendieck n’était pas avec lui physiquement, mais avec les Éléments de géométrie algébrique (EGA) quand j'étais au lycée Louis Le Grand. J’allais aux Presses Universitaires de France pour regarder différents livres, en particulier des livres de mathématiques, et je suis tombé sur le premier volume des EGA. C’était comme lire de la poésie dans une langue qu’on ne connaît pas. C’étaient des dessins étranges, c’étaient des mots, alors des mots de tous les jours, des mots chargés d’images mais qui se trouvaient dans un contexte incompréhensible. C’était totalement déroutant ». Deux ou trois années plus tard, alors qu'il était élève à l’École normale supérieure, il rejoignit le Séminaire de géométrie algébrique (SGA) de Grothendieck à l’IHES et participa à l’élaboration et à la rédaction du volume 6 sur la théorie des intersections et le théorème de Riemann-Roch.

Sa thèse a été consacrée au développement de la cohomologie cristalline initiée par Grothendieck. Le texte qui en a résulté demeure une référence essentielle du sujet. Le magnifique livre qu’il a publié quelques années plus tard avec Arthur Ogus a initié des générations de jeunes géomètres algébristes à la cohomologie cristalline. Une collaboration intense entre les deux auteurs a laissé une empreinte significative sur le développement du sujet, préparant le terrain à l'émergence de plusieurs théories de cohomologies p-adiques qui ont joué un rôle crucial en géométrie arithmétique. Les deux théories les plus importantes, la cohomologie rigide et les D-modules arithmétiques, occupent une place centrale dans l’œuvre de Pierre Berthelot. Elles ont permis la convergence entre l'approche de Grothendieck et les méthodes d'analyse p-adique développées par Dwork, Robba et leur école. Le programme qu’il a élaboré pour l'exploration des D-modules arithmétiques, ainsi que les conjectures qu'il a formulées, ont suscité de nombreux travaux et continuent d'alimenter les efforts des géomètres arithméticiens, tant du point de vue théorique que par le biais de leurs applications.

Pierre Berthelot n'était pas seulement un bâtisseur en mathématiques, mais aussi à l'université de Rennes, où il a fondé le laboratoire de mathématiques (IRMAR) en 1979, dont il fut le premier directeur. La naissance de l’IRMAR avait été précédée par l’organisation en juillet 1978 des Journées de géométrie algébrique de Rennes, dont les actes témoignent aujourd'hui encore de son importance historique. On y trouve en particulier un article cosigné par Pierre Berthelot et Bill Messing portant sur leur travail en collaboration avec Larry Breen sur la théorie de Dieudonné cristalline. Quelques années plus tard, ils publièrent un ouvrage qui demeure une référence incontournable sur ce sujet. Grâce à lui, Rennes s’est imposée comme une destination phare en géométrie arithmétique.  Pierre y a attiré de nombreux jeunes arithméticiens et géomètres algébristes qui ont fait une part importante de leur carrière à Rennes, parmi lesquels Larry Breen, Laurent Moret-Bailly et Bas Edixhoven. Plusieurs autres mathématiciens ont régulièrement visité Rennes, faisant de cette ville une destination très appréciée.

La richesse de ses idées, son envie de partager tout ce qu'il savait lui auront aussi permis de former plusieurs étudiants.

Pierre Berthelot a également joué un rôle crucial dans la création et le développement du premier réseau européen d'arithmétique et de géométrie algébrique dès 1993. Ce réseau a favorisé, pendant plus de dix ans, les interactions entre des nœuds tels que Rennes, Padoue, Cambridge, Münster... et a suscité plusieurs collaborations fructueuses et durables.

Par son charisme naturel, sa générosité, sa gentillesse innée et son intégrité morale, Pierre a su instaurer une atmosphère dynamique au sein du groupe de chercheurs qui avait choisi de s'inscrire dans son sillage.

En ces moments difficiles, nous adressons nos sincères condoléances à sa femme Marie-Hélène et à ses enfants, Katell et Erwan. Pierre nous manquera énormément, mais son empreinte restera longtemps gravée chez tous ceux qui ont eu la chance de le côtoyer."


Ahmed Abbes, Michel Gros et Bernard Le Stum

Publiée le 07.12.2023