In memoriam : Jacques Tits
par Michel Broué
Il est mort à 2h du matin le 5 décembre 2021, à 91 ans. Viendra le temps des biographies en bonne et due forme, des articles expliquant, entre autres, le Prix Abel, le Prix Wolf et les 25 ans de Chaire de Théorie des Groupes au Collège de France.
Je voudrais juste ici dire la tristesse de beaucoup de ceux qui l'ont connu. Bien sûr, la tristesse de quand disparait à jamais une intuition, une source d'idées exceptionnelle, et aussi une forme de bibliothèque. Mais on ne peut penser à Tits sans ressentir d'abord cette gentillesse qui faisait tellement de bien. Accompagnant la gentillesse, il y avait, je ne sais comment dire, une espèce de modestie - mais le mot ne convient pas vraiment. Une attitude qui vous mettait à l'aise, en tout cas. Une espèce de modestie accompagnée d'un humour doux et permanent. Un jour, lors d'un Séminaire Bourbaki, il avait évoqué « le théorème de moi ».
Il avait été extrêmement précoce et avait passé l'équivalent de sa thèse d'État à 20 ans. Il m'avait gentiment expliqué que le plus difficile, lorsqu'on était mathématicien, était d'accepter qu'on trouve un jour plus rapide, plus brillant, meilleur que soi ; que cela arrivait inexorablement, mais qu'une fois accepté, la vie était belle.
Une année, la salle du Collège de France où il devait faire son premier cours devait être rénovée. Les auditeurs en avaient été informés en arrivant, et dirigés vers une autre salle. Mais lui ne le savait pas, et il était entré, pour son premier cours, dans une salle vide. « Voilà, je savais que cela arriverait un jour » a-t-il avoué s'être dit. Non, cela ne s'est jamais produit. Serre a toujours assisté à tous ses cours.