La controverse de 1874 entre Camille Jordan et Leopold Kronecker
The 1874 controversy between Camille Jordan and Leopold Kronecker
Français
Une vive querelle oppose en 1874 Camille Jordan et Leopold Kronecker sur l’organisation de la théorie des formes bilinéaires, considérée comme permettant un traitement « général » et « homogène » de nombreuses questions développées dans des cadres théoriques variés au xix e siècle et dont le problème principal est reconnu comme susceptible d’être résolu par deux théorèmes énoncés indépendamment par Jordan et Weierstrass. Cette controverse, suscitée par la rencontre de deux théorèmes que nous considérerions aujourd’hui équivalents, nous permettra de questionner l’identité algébrique de pratiques polynomiales de manipulation de « formes » mises en œuvre sur une période antérieure aux approches structurelles de l’algèbre linéaire qui donneront à ces pratiques l’identité de méthodes de caractérisation des classes de similitudes de matrices. Nous montrerons que les pratiques de réductions canoniques et de calculs d’invariants opposées par Jordan et Kronecker manifestent des identités multiples indissociables d’un contexte social daté et qui dévoilent des savoirs tacites, des modes de pensées locaux mais aussi, au travers de regards portés sur une histoire à long terme impliquant des travaux d’auteurs comme Lagrange, Laplace, Cauchy ou Hermite, deux philosophies internes sur la signification de la généralité indissociables d’idéaux disciplinaires opposant algèbre et arithmétique. En questionnant les identités culturelles de telles pratiques, cet article vise à enrichir l’histoire de l’algèbre linéaire, souvent abordée dans le cadre de problématiques liées à l’émergence de structures et par l’intermédiaire de l’histoire d’une théorie, d’une notion ou d’un mode de raisonnement.