SMF

Décès de Michèle Audin

C'est avec une très grande tristesse que nous avons appris le décès Michèle Audin emportée cette nuit par la maladie à l’âge de 71 ans.

Le 14 novembre 2025, la Société Mathématique de France a perdu l’une de ses figures les plus singulières et lumineuses : Michèle Audin. Femme de sciences, écrivaine, historienne et passeuse passionnée, elle incarnait le lien vivant entre la rigueur mathématique, la littérature et la mémoire.


À la SMF, son engagement a été constant et précieux : membre active du Conseil d’administration de 1992 à 1998, elle fut une présence déterminée, attentive et profondément humaine. Elle avait à cœur la défense du personnel de l’association, toujours soucieuse d’équité, de respect et de bonnes conditions de travail pour celles et ceux qui faisaient vivre la Société au quotidien. Elle était également l’une des autrices les plus prolifiques de la SMF, contribuant sans relâche à la diffusion de la culture mathématique par ses articles, ses ouvrages d’histoire des mathématiques et ses travaux d’édition. Son goût pour la transmission l’a conduite à donner de nombreuses conférences destinées au grand public ; plusieurs de ces interventions sont d’ailleurs accessibles en ligne et continuent aujourd’hui d’inspirer un large public.  Michèle était mathématicienne, mais elle était aussi une écrivaine de grand talent, et une ardente défenseuse de la cause des femmes. Fille de Maurice et Josette Audin, elle portait avec dignité et détermination la mémoire de son père disparu. 


La géométrie symplectique comme sujet mathématique principal, après une thèse à Orsay sur les "cobordismes d'immersions lagrangiennes et legendriennes" sous la direction de François Latour, Michèle a rejoint le département de mathématiques de Strasbourg en 1987 jusqu'à sa retraite anticipée en 2014. Elle s'y intéressait principalement aux liens avec les systèmes intégrables, partant des questions les plus anciennes comme le mouvement des toupies, jusqu'aux plus récentes comme la cohomologie quantique ou l'homologie de Floer. Son goût pour l'écriture a commencé par celle des mathématiques, surtout celles des autres puisqu'elle a publié de nombreux articles de revue très appréciés, et son goût pour les histoires commence par celles des mathématiciennes et mathématiciens. Dans son panthéon, on trouve Sophie Kovalevskaia, Vladimir Arnol'd, Jacques Feldbau et tant d'autres… Il y avait chez elle une continuité remarquable entre son travail mathématique et son travail littéraire dans lesquels la transmission prend une place prépondérante.


Maths et littérature avaient ainsi rendez-vous dans l’Oulipo (qui comprit dès 2009 qu’il aurait été absurde de se passer plus longtemps de Michèle). Elle y débarqua avec armes (la Commune, l’engagement féministe, la guerre d’Algérie, l’affaire Audin...) et bagages (l’Histoire, Paris…).
L’histoire, ce fut d’une part celle des maths et des sciences, et d’autre part celle de Paris et de la Commune, mais parfois tout cela ensemble.

Maths, histoire et littérature se retrouvent aussi, et de quelle belle manière, dans les Souvenirs sur Sofia Kovalevskaya.
Enfin le crime contre Maurice Audin, ce fut « Une vie brève », un grand petit livre, un hommage magnifique. 

La quête de la vérité sur l’affaire Audin, ce furent 61 ans de combat inlassable aux côtés de sa mère, Josette (1931-2019) et de ses frères, Louis (1955-2006) et Pierre (1957-2023). Même si elle l’a fait plutôt discrètement, Michèle a pleinement participé à ce combat. On se souviendra de la lettre percutante qu’elle adressa en 2009 à Nicolas Sarkozy, alors Président de la République, lorsque celui-ci voulut la décorer de la Légion d’honneur. Il croyait peut-être faire oublier ainsi l’affront qu’il avait fait à Josette Audin en ne répondant pas à la lettre que celle-ci lui avait écrite après son élection en 2007 pour réitérer une nième fois sa demande de reconnaissance officielle par l’État du système de torture et des crimes perpétrés par l’armée française en Algérie. 


La cause des femmes, ce fut d’abord le lancement, avec des consœurs, de femmes et mathématiques en 1987 : elles ont lutté pour que cette association devienne légitime aux yeux d'une communauté qui n'était pas encore habituée à cette idée, même si le mouvement féministe des années 1970 avait déjà annoncé des changements sociaux. Michèle Audin a été la troisième présidente de l'association de 1990 à 1991, après Marie-Françoise Roy (1987-1990) et Françoise Delon (1989-1990). Catherine Goldstein (1991-1992) lui a succédé.  Avec la création de cette association, des femmes en mathématiques ont eu la joie de ne plus être isolées dans leur combat. Selon une de contemporaines de Michèle, « Je me souviens que Michèle nous avait raconté qu'elle se promenait dans un congrès de maths avec un T-shirt  "je suis une femme, pourquoi pas vous ?"».  
Outre son travail collectif, Michèle Audin a contribué énormément par ses livres, ses nombreux blogues et exposés, au soutien des femmes en mathématiques. Son livre "Souvenirs sur Sofia Kovalevskaya" de 2008 a fait connaître une mathématicienne au grand public. La protagoniste (1850-1891) y apparaît comme une personne authentique, "une jeune fille délurée" plutôt que " la légende dorée de Marie Curie, cette Sainte Vierge de la science" (Une Image des femmes scientifiques, Michèle Audin, APMEP-PLOT No 29). Son entretien avec Michèle Vergne est un exemple de son empathie envers les mathématiciennes en général. Les luttes de Michèle Audin pour les femmes en mathématiques s'inscrivaient dans le combat pour la justice sociale, elle signait ses lettres par «Salut & égalité» : des valeurs qui lui étaient chères.


Texte co-écrit par Gautami Bhowmik, Laurence Broze, René Cori,
Isabelle Gallagher, Julien Marché, Claire Ropartz.

 

La Société Mathématique de France présente ses plus sincères condoléances à sa famille et à ses proches

 

En vrac, des conférences, des entretiens, des témoignages et des hommages.
 

"Une histoire de Jacques Feldbau", Michèle Audin, Série T, Société Mathématique de France, 2010.

"Publier sous l'Occupation I. Autour du cas de Jacques Feldbau et de l'Académie des sciences", Michèle Audin, Revue d'histoire des mathématiques, tome 15, fasc. 1, Société Mathématique de France, 2009.

"Correspondance entre Henri Cartan et André Weil (1928-1991)", Michèle Audin, Documents Mathématiques 6, Société Mathématique de France, 2011.

"Invariants en géométrie symplectique via les courbes holomorphes", Michèle Audin, Panoramas et Synthèses 11, Société Mathématique de France, 2001.

"Les systèmes hamiltoniens et leur intégrabilité", Michèle Audin, Cours Spécialisés 8, Société Mathématique de France, 2001.

"Le cas Sophie Kowalevskaya", vidéo de la conférence du 5 avril 2006 donnée par Michèle Audin dans le cadre du cycle "Un texte, un mathématicien".

"La formule de Stokes : une héroïne de roman ?", vidéo de la conférence du 26 janvier 2017 donnée par Michèle Audin dans le cadre des Forums Régionaux du Savoir à Rouen.

"Pourquoi la SMF doit-elle défendre les droits humain ?", vidéo de la table ronde du 18 mars 2022 à l'occasion des 150 ans de la SMF et avec la participation de Michèle Audin.

"Souvenirs", hommage à Sadek Hedjerès, par Michèle Audin, février 2023, ENS Paris, Michèle Audin raconte quelques souvenirs de son enfance en Algérie, auprès de militants du PCA.

"Qui était Maurice Audin", Michèle Audin "Awal" sur Berbère Télévision (émission diffusée le 21 mars 2018) : extrait.

"Hommage à Michèle Audin" par la rédaction d'EAN.

"Mort de Michèle Audin, écrivaine, mathématicienne", l'hommage de 'L'Humanité, 15 novembre 2025.

« Michèle Audin est l’une des plus justes continuatrices de Perec » : l'hommage de son éditeur Thomas Simonnet, L'Humanité, 16 novembre 2025.

Les articles de Michèle Audin pour Images des maths.

La page personnelle de Michèle Audin

Le communiqué de l'association Josette et Maurice Audin, 15 novembre 2025.

"Un entretien avec Michèle Audin", Propos recueillis le 11 novembre 2021 par Damien Gayet, La Gazette de la Société Mathématique de France, 171, 2022.

 

Michèle Audin

Michèle Audin

 

Publié le 14.11.2025