Réflexions sur les mathématiques
Français
Préparant l’agrégation de mathématiques à l’École normale supérieure de la rue d’Ulm dont j’étais élève, j’ai eu une révélation en écoutant Henri Cartan. Une question épineuse était la construction des nombres réels et il y avait deux méthodes traditionnelles pour ce faire, les coupures et les suites de Cauchy. Nous avions en- tendu deux de mes camarades présenter une leçon longue, laborieuse et ennuyeuse, en utilisant l’une et l’autre de ces méthodes. Et Cartan, mutin, nous avait dit : on peut faire beaucoup plus simple en utilisant les développements décimaux illimités, une fois n’est pas coutume, la semaine prochaine c’est moi qui ferai la leçon. Et ce fut lumineux : il suffit d’identifier $X_{n}X_{n−1} ... X_{1},Y_{1}Y_{2} ...Y_{p}999999999...$, développement décimal qui ne contient plus que des 9 à partir d’un certain rang, avec le nombre décimal $X_{n}X_{n−1} ... X_{1}, Y_{1}Y_{2} ... Y_{p+1}$ pour avoir une représentation des réels et démontrer sans peine que ces réels ont bien toutes les propriétés voulues. C’était simple, c’était bref, c’était évident. J’ai beaucoup pensé à cette leçon au cours de ma vie d’enseignant : les choses se comprennent d’elles-mêmes quand la théorie et la pratique se rejoignent.